L'Intrus
de Claire Denis (Fr, 2h10) avec Michel Subor, Grégoire Colin, Katia Golubeva...
Reprenant ses acteurs de Beau travail (Michel Subor et Grégoire Colin), Claire Denis enfonce avec L'Intrus le clou qui transperce toute son œuvre : la notion de corps étranger, qu'elle va décliner sous toutes les coutures (médicale, sexuelle, raciale, animale...). Au commencement, la transplantation de cœur d'un vieux Baroudeur (Michel Subor, s'efforçant d'être charismatique). À l'arrivée, un carnet de voyages aux cartes postales splendides sur lequel un scénario à la fois minimaliste et grossier (voir le couplet lourdingue sur la filiation et la rédemption d'un mauvais père) ne parvient jamais à se greffer. Curieux de voir comme le cinéma de Claire Denis, en épousant des sujets de plus en plus ténus, se veut de plus en plus lourd de sens. Pas un geste qui ne soit grossi, magnifié par le silence, l'immobilisme, formant un cinéma à la loupe qui passe son temps à solenniser le trivial. Voir Michel Subor se baigner, se raser, faire du vélo ou jouer de la guitare ne suffit peut-être pas à constituer une expérience existentielle. À force de pétrifier ce qui est filmé, de le déconnecter de toute narration, de multiplier les incongruités plutôt que de travailler un sentiment d'étrangeté (le cœur bouffé par les chiens, le dialogue de troisième âge sur la carte vitale, à quoi bon ?), Claire Denis s'arrête au stade d'un cinéma larvé, posant et pesant beaucoup trop sa caméra pour déployer un récit ou s'envoler vers la contemplation. Restent quelques clips façon Mylène Farmer (Béatrice Dalle en traîneau ou la course de chevaux) et une multiplication de couchers de soleil sur fond de musique statique qui conduisent davantage à la lassitude qu'à la méditation.Luc Hernandez