Le Couperet
Retour en force de Gavras après un Amen atone, avec ce grand film social qui démontre comment les valeurs du travail et de l'individualisme peuvent servir d'alibi au meurtre.Luc Hernandez
L'horreur est aussi économique, Costa Gavras va le prouver : Bruno, cadre sup licencié pour cause de délocalisation, va traduire en actes la violence que lui impose le système. La concurrence, la performance, la décision arbitraire que peut constituer le pouvoir et, surtout, l'obligation sociale d'avoir un emploi, toutes ces valeurs de notre satané système capitaliste, il va les mettre en pratique... dans le crime. Il scrute, traque et utilise son expérience professionnelle pour repérer les prétendants et les éliminer, pour de bon. Les virées en voiture à la poursuite de proies concurrentielles aux côtés de ce candide du crime, surpris lui-même par le pouvoir de tuer, sont autant de beaux moments de cinéma qui habitent la première partie du Couperet. Car Bruno (José Garcia, impérial dans la détermination comme dans la maladresse), ne se dépare pas de ce masque froid et de son costard uniformisé de bon père de famille sarkoziste qui cherche simplement à bien gagner sa vie et à nourrir femme et enfants. C'est l'aspect le plus réussi du film, où sourd son humour latent : filmer le dédoublement entre un monsieur tout le monde et un monsieur personne du crime, qui commet les atrocités les plus arbitraires au motif le plus partagé du monde occidental : trouver un emploi. Entre deux meurtres commis avec une lâcheté toute professionnelle (dans une scène d'anthologie avec Olivier Gourmet, Garcia maquille son crime en accident pour ne pas en être responsable), Gavras filme toutes les humiliations qu'induit le conformisme, des entretiens d'embauche aux séances avec le conseiller conjugal.Élimination de la concurrenceAprès l'échec de Je suis un assassin et la jolie transposition française d'Ordo, c'est la troisième fois que Donald Westlake, grand écrivain du roman noir américain, est adapté à l'écran. C'est clairement la meilleure. En court-circuitant thriller et charge sociale, Costa-Gavras revient en grande forme après le chemin de croix d'Amen, aussi fade qu'une hostie et aussi rythmé qu'une enjambée papale. Il faut dire qu'il a eu du mal à le monter, mais la difficulté lui aura été bénéfique : Le Couperet ressemble à un premier film nerveux, sans gras, film-personnage au calme plat et aux meurtres froids qui dénonce la soumission sociale par l'absurdité du crime. À cette réserve près que Gavras ne semble pas aller au bout de la destruction programmée de son héros. L'insistance sur la famille comme alibi moral et un finale conventionnel pas très crédible ramène Le Couperet vers un horizon malgré tout confortable. Reste qu'ils ne sont pas bézef les films qui traitent de la rage sociale, pourtant criante, et de son lot de folie ordinaire. Celui-ci, après des œuvres aussi différentes que The Assassination of Richard Nixon ou la Rosetta des Dardenne, dégaine magnifiquement.Le CouperetDe Costa-Gavras (Fr, 2h02) avec José Garcia, Karin Viard, Olivier Gourmet...