Blog : Cannes, jour 4 : Vive la fin du monde !

Dimanche 16 mai 2010

Another year de Mike Leigh. You will meet a tall dark stranger de Woody Allen. Kaboom de Greg Araki.

 Au quatrième jour, on peut le dire : la compĂ©tition ronronne. En tĂ©moigne le très inutile film tchadien de Mahamat-Saleh Haroun, Un homme qui crie, dont l'argument très lâche n'est pas vraiment aidĂ© par une mise en scène inutilement contemplative et surtout une interprĂ©tation au bas mot catastrophique. En revanche, il va falloir se prĂ©parer Ă  ferrailler autour d'Another year de Mike Leigh, très bien accueilli et que certains n'hĂ©sitent pas Ă  qualifier de chef-d'œuvre. J'ai simplement dĂ©testĂ© le film, Ă  presque tous les niveaux. DĂ©jĂ , Leigh a une fâcheuse tendance Ă  clamer du premier au dernier plan qu'il tourne ici sa grande œuvre, alors qu'elle n'est qu'une asphyxiante dĂ©monstration de maĂ®trise Ă©crasant tout sur son passage, Ă  commencer par ses personnages. Si la rĂ©alisation est Ă©lĂ©gante, la mise en scène est la plupart du temps purement théâtrale : tout passe par le texte et Leigh ne garde au montage que les personnages qui parlent, jamais la rĂ©action de ceux Ă  qui ils s'adressent, ce qui en dit long sur son sens de l'altĂ©ritĂ©. Les acteurs n'ont pas d'autre choix que de grimacer pour exister, dans un pĂ©nible surjeu qui se voudrait Ă  fleur de peau, mais qui n'est que le reflet du regard mĂ©prisant du cinĂ©aste sur les ĂŞtres qu'il emprisonne dans son rĂ©cit. Car Another year est un exercice de manipulation Ă©motionnelle particulièrement retors : les deux personnages centraux sont un couple a priori dĂ©vouĂ©, des bourgeois humanistes Ă  l'Ă©coute de leur entourage. Mais c'est Mary, secrĂ©taire cĂ©libataire, vieillissante et hystĂ©rique, qui focalise l'attention de Leigh. On pense d'abord ĂŞtre en face d'une cousine Ă©loignĂ©e de Poppy, l'hĂ©roĂŻne du prĂ©cĂ©dent Mike Leigh, une militante forcenĂ©e du bonheur et de la joie de vivre dont l'enthousiasme est aussi une source d'embarras pour son entourage. Mais lĂ  oĂą Poppy apprenait Ă  encaisser les coups pour trouver un Ă©quilibre social et amoureux, Mary va ĂŞtre la victime dĂ©signĂ©e de la cruautĂ© de son cinĂ©aste. Plus les saisons passent, plus le film la maltraite, jusqu'Ă  la dĂ©grader physiquement (cernes Ă©normes, cheveux gras, rides marquĂ©es). Le film converge vers cette terrible conclusion : la parquer dĂ©finitivement dans sa solitude, tout en la culpabilisant. Une sociĂ©tĂ© normative dĂ©truit-elle ses enfants les plus turbulents en essayant de leur apprendre la responsabilitĂ© ? Ce pourrait ĂŞtre un discours passionnant, mais Leigh prĂ©fère laisser rĂ´der dans Another year un vieux fond moralisateur, se permettant tout (y compris un assez odieux suspense autour d'un dĂ©cès) tant que cela sert ses ambitions d'artiste surplombant et sĂ»r de son bon droit. Il aura peut-ĂŞtre la palme Ă  l'arrivĂ©e ; après tout, il ne manquerait plus que ce cinĂ©ma dĂ©magogique rate son objectif (nous, on s'en frotterait les mains !). Après cette purge, le Woody Allen a fait figure de bol d'air. Il faudra revenir sur ce film en apparence assez lĂ©ger, Ă  la limite de l'anodin, mais qui nous est revenu par bouffĂ©es tout au long de la journĂ©e. You will meet a tall dark stranger a tout de la comĂ©die de mœurs allenienne, avec maris, femmes, maĂ®tresses, marivaudage... Mais la comĂ©die, souvent, se bloque dans une sĂ©cheresse qui rappelle celle de Match Point, et risque Ă  tout instant de basculer dans le drame. Le rĂ©cit est Ă  la fois fluide et elliptique, les situations sont drĂ´les mais l'amertume et le ratage ne sont jamais très loin. Le film est aussi attachant car, Ă  la diffĂ©rence de beaucoup d'autres vus Ă  Cannes, il ne choisit pas d'opposer les gĂ©nĂ©rations, mais de les mĂ©langer dans un joyeux bordel oĂą ce sont les lunatiques qui triomphent sur les rationnels, oĂą la fantaisie permet d'avancer alors que le sĂ©rieux ne conduit qu'Ă  des impasses. Quant au casting, il est tout bonnement fabuleux : Anthony Hopkins, Josh Brolin, Naomi Watts, Antonio Banderas et la rĂ©vĂ©lation Lucy Punch en pute transformĂ©e en bourgeoise dĂ©pensière... Pas mal, vraiment pas mal, ce Woody Allen, finalement ! Ă€ Un Certain regard, la baudruche Xavier Dolan, qui avait cartonnĂ© Ă  la Quinzaine l'an dernier avec J'ai tuĂ© ma mère, s'est dĂ©gonflĂ© instantanĂ©ment Ă  la vision du grotesque Les Amours imaginaires. Dolan, post-ado quĂ©bĂ©cois, se rĂŞve en un mixte de Godard et de Wong Kar-Wai, et pense livrer le film dĂ©finitif sur la culture gay contemporaine, mais il atterrit plutĂ´t du cĂ´tĂ© de Christophe HonorĂ© (le clin d'œil final est Ă©loquent !), vers un cinĂ©ma poseur et maniĂ©riste, fier de ses effets, masquant Ă  grand peine le fait qu'il n'a tout simplement rien Ă  dire. Ă€ l'opposĂ© de ce navet surfait, un grand film queer a illuminĂ© la journĂ©e : Kaboom de Greg Araki, presque un claquage de beignet comme diraient nos amis de Zonebis. Difficile de raconter ce truc dĂ©lirant, pop, foisonnant, hilarant et complètement chtarbĂ©, qui ressemble Ă  un pilote de sĂ©rie tĂ©lĂ© pour ados sous forme de comĂ©die sexuelle transgenre, que le cinĂ©aste aurait bouclĂ©e en se laissant aller Ă  un grand n'importe quoi jouissif et fun. Des rĂ©pliques cultes («J'ai connu des frottis vaginaux qui duraient plus longtemps» dit la charmante London après un coĂŻt particulièrement bref), un esprit 80's dans la forme comme dans le fond, et mĂŞme une pointe de mĂ©lancolie : le hĂ©ros fait des Ă©tudes de cinĂ©ma et affirme, sur des images d'Un chien andalou (libres de droit : Araki assume son statut de pirate !) qu'il veut faire des films en sachant que dans quelques annĂ©es, le cinĂ©ma n'existera peut-ĂŞtre plus. Araki fait pareil : il signe un film joyeusement impur, au croisement de la tĂ©lĂ©, de l'art vidĂ©o et du bricolage potache oĂą la fin du monde ressemble Ă  s'y mĂ©prendre au crĂ©puscule d'un art. Mais Kaboom orchestre cette apocalypse dans la joie et l'explosion sexuelle, une bonne humeur contagieuse qui fait du bien dans un festival un peu trop sĂ©rieux pour le moment.