Rentrée théâtre, collés, serrés

Publié Vendredi 22 août 2025

Rentrée théâtre / Dans un contexte de baisse budgétaire importante, les théâtres de Lyon et de la métropole entament leur saison avec une énergie forte, réagissant chacun à leur façon dans la tempête. Parfois en en faisant moins... d'autres fois encore plus !

Photo : La Guerre n'a pas un visage de femme © Christophe Raynaud de Lage

Restriction budgétaire des collectivités territoriales de la part de l'État, orientations politiques violentes de certains conseils régionaux (suppression totale des crédits alloués à la culture en Pays de la Loire, baisse de 12% en Aura si l'on distingue la création et l'enseignement artistique du patrimoine)... Si le ministère maintient plus ou moins ses crédits, c'est bien 47% de baisse du budget alloué à la culture par les collectivités locales entre 2024 et 2025 qu'a comptabilisé le très sérieux Observatoire des politiques culturelles, au point de détailler cela dans une "cartocrise" consultable en ligne et régulièrement actualisée.

Pour autant, chacun des théâtres tente de soutenir les artistes et d'offrir au public un aperçu de la diversité et la qualité des œuvres qui s'inventent aujourd'hui. Les Célestins, fort de leur 93% de taux de remplissage en 2024/25, et soutenu de façon infaillible par la Ville, annoncent 48 spectacles hors Biennale de la danse, s'affirmant comme le lieu absolument incontournable en la matière, au nez de ses voisins détenteurs d'un label national. Selon l'insatiable directeur Pierre-Yves Lenoir : « Par ces temps où l'obscurantisme gagne [du terrain] nous avons le devoir de faire du bruit », reprenant au passage les mots de Jean-Luc Lagarce. Alors Julie Deliquet, Alexander Zeldin, Caroline Guiela Nguyen, la première nationale de Carolina Bianchi et tant d'autres seront là.

Côté Centres dramatiques nationaux, celui du TNP a choisi une autre façon de soutenir les artistes : maintenir leur niveau d'apport en productions et co-productions mais en faire moins - car la part financière disponible pour la création n'a cessé de baisser. On peut évoquer la suppression de 150 000€ de la Région en 2022 ainsi que la hausse des coûts de fonctionnement. Il y aura de grands spectacles sur cet immense plateau dont notamment celui de Séverine Chavrier et son incroyable Absalon Absalon ! ou le travail de Clara Hédouin sur Baptiste Morizot (Manières d'être vivant), le si talentueux Guy Cassiers (Face à la mère) et l'immanquable Joël Pommerat (Les petites filles modernes). Le directeur Jean Bellorini ne fera pas de création (encore une économie) mais sera à la Comédie-Française pour monter L'ordre du jour d'Éric Vuillard.

Au TNG, CDN de Lyon, c'est désormais Odile Grosset-Grange qui officie à la direction avec des spectacles a priori moins expérimentaux que ceux de Joris Mathieu qui toutefois ouvre la saison avec une forme très étonnante conçue avec l'opéra de Taïwan, L'éventail de fer. Trois spectacles sont annoncés seulement d'ici février.

Autre inscrit au mercato : Stéphane Malfettes, qui rejoint dès octobre le festival de la Bâtie à Genève. Il laisse des Subs énergiques et l'installation de Khaled Alwarea Arcadia pour encore deux ans. Lui aussi a fait face à la fragilité économique de son lieu en développant fortement le mécénat au point d'embaucher une personne dédiée à cela. Il retrouvera en Suisse Jean Bellorini, qui n'a pas souhaité briguer un 3e mandat au TNP et qui rejoindra le théâtre de Carouge (adossé à Genève) en janvier 2017.

Renaissance, Croix-Rousse : ces théâtres ne baissent pas la garde et continuent à multiplier les propositions pour actionner et ne pas perdre une dynamique de public, en s'adressant massivement à la jeunesse, en multipliant les spectacles moins coûteux... L'équilibre est précaire mais très mesuré néanmoins et toujours en réflexion comme ce changement de politique tarifaire à Oullins-Pierre-Bénite. Désormais, le choix du tarif sera libre (hormis pour les étudiants, les moins de 16 ans et les allocataires de minima sociaux). Les spectateurs pourront opter pour 6, 13, 18, 24 ou 30€ à chacune de leurs venues et se sensibiliser ainsi à cet acte de consommation pas tout à fait comme les autres, permettant à chacun de s'ajuster à leurs moyens du moment. Musique et hybridation au bout de la ligne B, inclusivité au bout de la C avec respectivement les artistes associés Noémi Boutin et Yuval Pick d'un côté, Logan de Carvalho et Mélissa Zenner de l'autre.

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Militance

Un drapeau qui flotte, un jet de fumigène qui rougit l'air : les visuels de saison traduisent de façon prégnante et intelligente les intentions de leurs directions. Dans ce contexte fragile, Matthieu Loos et Amélia Boyet dans le 8e arrondissement, Angélique Clairand et Éric Massé dans le 5e maintiennent leur exigence à l'égard soit du jeune public (au Ciel, la moitié de la programmation est européenne) soit des adultes (un temps fort rassemblera le concept original des ReporTERRE au Point du Jour). Le théâtre du Point du Jour poursuit aussi des actions nomades même si elles sont coûteuses. Et invite à nouveau la figure majeure qu'est Milo Rau tout en perpétuant le travail auprès de jeunes artistes solides (tels que Pascal Césari). Mais pour ne pas mettre le théâtre dans le rouge en 2026, et face aux incertitudes financières chaque année plus prégnantes, le Point du Jour a - pour l'instant - arrêté sa programmation à avril.

Le théâtre des Clochards célestes, quant à lui, se voit contraint de ne pas imprimer les 3000 exemplaires de sa plaquette annuelle de saison pour économiser 4500€, la Région n'ayant pas renouvelé son soutien au label des scènes découvertes de Lyon en 2025. Sans cette brochure, la visibilité des œuvres proposées s'en trouve fortement réduite et c'est d'autant plus dommageable que, cette saison encore, la programmation est très alléchante pour les tout-petits (deux spectacles accessibles dès 18 mois) et les plus grands au plus près d'artistes émergents. À l'Élysée, la programmation se densifie et l'accompagnement des artistes se professionnalise de plus en plus malgré la perte de l'apport de la Région. Ne pas manquer les propositions de Marie Depoorter, Pierre Bidard ou Grégoire Vauquois que l'on suit déjà de près.

Des festivals toujours debout

Enfin, les festivals tiennent eux aussi le choc de façon plus ou moins chaotique. À la Croix-Rousse, le Festiv·iel s'étale sur 15 jours, du 14 au 29 novembre) et invite Adèle Haenel, Monique Wittig, Ovidie, Anna Mouglalis autour de questions de féminismes et de genres ouvertes pour la première au jeune public (Scaphandre). On pense aussi au FACT (du 21 octobre au 2 novembre) dédié aux artistes trans, qui poursuit son développement aux Subs, Point du Jour, Clochards célestes et Élysée.

Et puis, avec une militance là aussi totale, et même après que son fondateur Patrick Penot se soit retiré, le festival Sens interdits, 9e édition du nom, se tiendra du 10 au 31 octobre. Des voix du Rwanda, de Palestine, d'Ukraine, du Liban, du Chili, d'Argentine vont nous percuter, et notamment celle de la Russe Tatiana Frolova. Réfugiée politique en France depuis trois ans et artiste associée aux Célestins, elle raconte comment elle apprend à vivre une autre terre que celle qu'i l'a vue naitre (I'm Fine). Parce que, outre les difficultés financières qu'il ne s'agit en aucun cas de cacher ou de minorer, ce qui collectivement nous entoure est l'ombre sans cesse grandissante du fascisme. Faire entendre ce monde qui gronde, avec des paroles autres que celles - indispensables - des reporters journalistes est une façon de prendre soin, des autres et de nous-mêmes. Ce combat se joue aussi dans les théâtres. Chacun(e) cette saison prend sa part à sa manière, et surtout, à hauteur de ses moyens.