«Je ne voulais pas d'une Blanche-Neige niaise»

Une reine oedipienne, des moines à la place des nains, Jean-Paul Gaultier aux costumes… Angelin Preljocaj adapte en ballet le célèbre conte des frères Grimm, gravé dans nos mémoires avec Disney. Première à la fin du mois à la biennale de Lyon, et passage par Grenoble début janvier 2009. Propos recueillis par Aurélien Martinez

Petit Bulletin : Pourquoi monter Blanche-Neige aujourd’hui ?
Angelin Preljocaj : On est dans une époque propice à ce conte. Compte tenu des avancées de la médecine, de la science en général, on vit plus longtemps, et plus longtemps jeune en apparence, dans une sorte d’image. C’est favorable à l’émergence de conflits entre mère – ici une belle-mère – et fille, auxquels on assiste plus souvent que par le passé je trouve. Aujourd’hui, on voit beaucoup de jeunes filles au bras de leur mère, et elles sont toutes les deux sublimes, jeunes, sportives…

Donc vous êtes en accord avec ceux, notamment les psychanalystes, qui voient en Blanche-Neige un œdipe inversé ?
Oui absolument ! Je me suis replongé dans Marie-Louise von Franz, qui a écrit un livre très intéressant sur la femme dans les contes de fées. Il y a des psychanalystes qui analysent les soubassements des contes. Tout conte porte en lui un message et prépare l’enfant à devenir adulte, à mieux construire sa vie. Quand on est enfant, on est plein de doutes, de peurs, le monde des adultes est effrayant, on peut se sentir petit, incertain, et les contes permettent une transposition, une sorte de rituel initiatique. Quand j’ai commencé à réfléchir à l’idée de ce projet, je pensais reprendre un conte existant comme Cendrillon ou La Belle au bois dormant, qui ont déjà été beaucoup mis en scène dans des versions très différentes. Mais je me suis dit : pourquoi ne pas s’emparer d’un conte qui n’a pas été chorégraphié jusqu’à présent ? Blanche-Neige est effrayant parce que c’est vraiment pour moi l’archétype du conte de fée…

Justement, comment conter une histoire très littéraire sur scène (vous l’avez déjà fait, entre autres, avec Roméo et Juliette) ? Il faut s’inspirer de l’œuvre, l’interpréter ou lui rester fidèle ?
Je trouve que la narration de Blanche-Neige est assez étonnante, c’est plein de rebondissements. Si vous faites un tout petit effort pour essayer de vous raconter l’histoire, vous verrez que c’est assez compliqué en fait… On dit Blanche-Neige, alors on pense à la pomme, la méchante reine, mais il y a aussi le chasseur qui renonce, le miroir magique… Et puis très peu de gens connaissent la fin réelle qui est assez terrible : il y a un mariage, une grande fête où est conviée la méchante reine. Mais on s’empare d’elle, on lui met des chaussures de fer chauffées au rouge, et elle danse devant tout le monde jusqu’à ce qu’elle meure. Il y a une cruauté sans nom, et en même temps, c’est presque la morale. Avec mon ballet, je porte mon regard, c’est ma façon de regarder le conte, mais en même temps je trouve que la narration donnée par les frères Grimm est extrêmement articulée, dans une dramaturgie implacable jusqu’au final…

La danse n’offre-t-elle pas plus de liberté, contrairement par exemple au théâtre où il faut se coller à la narration ?
Ce qui est marrant justement, c’est de s’y coller, de faire l’effort de ne pas forcément éluder les choses, tenter de laisser parler les corps, tout en essayant de faire avancer la dramaturgie du récit. Finalement, ça me pose des problèmes chorégraphiques, et ce qui m’intéresse, c’est de trouver des solutions chorégraphiques à ces postulats dramaturgiques.

Comment se raconte l’histoire sur scène ?
Chaque personnage existe à part entière. Il y aura Blanche-Neige, la méchante reine, le prince, le roi, de même que les sept moines… On a mis des moines parce que lorsqu’on se réfère à la dramaturgie de l’époque des frères Grimm, ce sont des nains simplement parce qu’ils n’étaient pas dotés d’une sexualité. Les gens pensaient que les nains ne baisaient pas, et c’est pour ça que les frères Grimm, pour enlever toute ambiguïté avec Blanche-Neige, lui en ont fait rencontrer sept. Dans une version plus fantasmée, ça pourrait être sept moines, ou sept personnages d’une congrégation qui auraient fait vœu de chasteté. Tout ça pour ne pas que ça se finisse en tournante !

Vous construisez aussi une imagerie très forte, notamment avec Jean-Paul Gaultier aux costumes…
Comme je ne voulais pas d’une Blanche-Neige naïve, voire niaise, j’avais envie d’un créateur fort pour m’aider dans l’identité visuelle du spectacle. Les costumes de Jean-Paul Gautier sont extrêmement intenses dans leurs signes. De même pour les décors : je dis bien “décors”, je ne voulais pas de scénographie mais des décors, sous entendu je ne veux pas des espaces, je veux des lieux. C’est vraiment jouer avec la machinerie, on lève un rideau et hop on est ailleurs ! Même si ça demande un réglage très pointu, c’est passionnant.

La musique, c’est celle de Mahler, très complexe, grandiloquente. Et a priori pas celle que l’on imagine d’emblée avec Blanche-Neige…
C’est drôle parce que c’est une de mes premières idées. J’ai tout de suite vu le romantisme où la nature a une grande importance, parce que c’est un peu la forêt qui prend Blanche-Neige dans ses bras. Tout ce souffle romantique de l’époque des frères Grimm, on le sent… Il y a des animaux mystérieux… Cela correspond à la musique de Mahler, les racines du romantisme ; mais en même temps on est déjà ailleurs, comme avec les frères Grimm.

BLANCHE-NEIGE, du 7 au 9 jan, à la MC2

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