Rares sont les hommes de l'ombre de l'industrie musicale dont le nom est aussi évocateur que celui de Quincy Jones. à part Phil Spector et George Martin, et peut-être Berry Gordy de la Motown et Sam Philips de Sun Records. Aucun d'entre eux n'aura toutefois été aussi omniscient et omniprésent que Quincy Jones dans la musique américaine. Preuve qu'il l'est toujours, à plus de quatre-vingt ans, il nous présente à Jazz à Vienne ses derniers protégés. Stéphane Duchêne
Pour le grand public, Quincy Jones sera à jamais l'homme qui se cache derrière les plus grands succès de l'ascension fulgurante de Michael Jackson. Celui qui fit d'un jeune homme au talent inégalé une superstar planétaire, “The King of Pop“.
Mais Jones, producteur de génie – et par producteur, il faut entendre toutes les acceptions de ce terme – est aussi et surtout un musicien né. Ou presque né, gagné par le virus de la musique dès son enfance. Clark Terry lui apprend la trompette à treize ans et Ray Charles l'art de la composition – tant pis si c'est en braille. Il a quinze ans lorsqu'il joue aux côtés de Billie Holiday et Cab Calloway. à la fin de ses études, il rejoint l'orchestre d'un Lionel Hampton bluffé par ses compositions. On dit partout que Quincy a une oreille phénoménale et les plus grands jazzmen s'arrachent ses arrangements.
Après un détour par Paris dans les années 50, où il en profite pour suivre les cours de la papesse de la pédagogie musicale Nadia Boulanger – et accessoirement pour diriger Barclay Musiques – Jones revient aux States pour se rapprocher de la pop et enchaîne les succès avec Peggy Lee (If you Go), Lesley Gore (It's my Party), Sinatra, Aretha et, bien sûr, le Give Me the Night de George Benson.
Keep On Keepin' On
À la baguette de nombreuses BO de films (Sidney Lumet, Norman Jewison, Richard Brooks...), c'est sur le tournage de The Wiz qu'il rencontre Michael en 1978. Rencontre décisive qui débouchera sur Off The Wall, Thriller (l'album le plus vendu de tous les temps) et Bad.
L'aura de Quincy est telle que non seulement on se l'arrache – y compris pour remuscler des albums faiblards –, mais on joue aussi des coudes pour un petit caméo sur ses disques solo. Sa méthode : traiter les arrangements des morceaux les plus putassiers comme des orfèvreries jazz ou contemporaines, et les morceaux les plus exigeants avec le bon sens d'une oreille populaire.
Une oreille qu'il ne perd pas puisqu'à quatre-vingt ans passés, il présentera à Jazz à Vienne, au cœur d'un programme par ailleurs magistral (Robert Plant, Sharon Jones, Bobby McFerrin, The Roots, Stevie Wonder...), quelques-uns de ses poulains : le pianiste cubain Alfredo Rodriguez, la chanteuse canadienne Nikki Yanosky, le guitariste slovaque Andreas Varady et le pianiste Justin Kauflin. La présence de ce dernier permettra d'ailleurs de boucler la boucle du parcours de Quincy, puisque sera projeté Keep On Keepin' On, film sur la rencontre de ce jeune musicien non-voyant avec son mentor Clark Terry, l'homme aux 905 sessions d'enregistrements et celui qui enseigna la trompette à Quincy.
Jazz à Vienne, à Vienne (Isère) jusqu'au samedi 12 juillet