Porté par le succès de son film "Hippocrate", chronique du monde impitoyable de la médecine, le docteur Thomas Lilti renouvelle son ordonnance dans l'univers des blouses blanches en se focalisant sur un malade très singulier, puisqu'il prend soin des autres... Une nouvelle réussite. Vincent Raymond
Pour ouvrir Le Samouraï (1967), Melville avait choisi une citation prétendument extraite du "bushido", code des principes moraux des samouraïs japonais : « Il n'y a pas de plus profonde solitude que celle du samouraï. Si ce n'est celle d'un tigre dans la jungle... Peut-être... » Toutes proportions gardées, cette sentence pourrait s'appliquer au personnage de Jean-Pierre, ici incarné par François Cluzet. Taiseux, déterminé, porté par un sens de sa mission confinant à l'apostolat (et longeant les lisières de la fierté orgueilleuse), le médecin de campagne, s'il est l'ultime avatar du sorcier ou druide au sein de sa communauté, tient aussi du "rōnin", ce samouraï sans maître : un fauve inflexible prêt à lutter et de préférence sans secours jusqu'au terme de ses forces.
Thomas Lilti ne va pas jusqu'à transformer son portrait de toubib en ferraillerie – le scalpel ou l'abaisse-langue se substituant au sabre katana. Il dépeint bien, en revanche, l'obstination d'un homme, dans toutes ses nuances : en proie à des combats stériles et vains (son refus initial de se soigner), préservant à tout crin le droit de ses ouailles à bénéficier de traitements adaptés, même s'ils s'écartent des pratiques orthodoxes. On pourrait aussi parler d'une défense active et militante d'un service public conforme aux valeurs républicaines dans des zones négligées par l'État...
Le triomphe de la médecine, la vraie
À mille lieues du Knock de Jules Romains, personnage instrumentalisant son art à son seul profit (et au détriment de sa clientèle), Jean-Pierre ne fait pas que soigner les corps ni les âmes. Il participe de la vie globale et collective de cette “campagne”, joue un rôle de liant social autant que d'autorité morale : sa légitimité ne dépend ni des urnes, ni d'un hypothétique au-delà. Sa parole, puis celle de sa remplaçante en soutien, sont donc d'autant plus précieuses lorsqu'elles s'élèvent pour contester le bien-fondé d'une de ces maisons de santé idéalisées par des élus locaux, pour la plupart de bonne foi.
Censées juguler la désertification rurale, ces constructions profitent surtout aux entrepreneurs, sauf lorsqu'elles répondent aux attentes de praticiens ou sont bâties en concertation avec ceux-ci. Même si le parcours personnel des deux médecins solitaires ne manque pas de délicatesse (jusque dans leurs rapports chat et chien), c'est le mélange équilibré entre constat pragmatique et aspirations humanistes qui l'emporte. Normal lorsque le regard du réalisateur embrasse à ce point le territoire et ceux qui l'habitent.
Médecin de campagne de Thomas Lilti (Fr., 1h42) avec François Cluzet, Marianne Denicourt, Isabelle Sadoyan...