Interview / Apaisé et souriant, le réalisateur aborde avec confiance la sortie de son film franco-québécois "Le Fils de Jean".
Comment vous-êtes vous libéré du livre original de Jean-Paul Dubois ?
Philippe Lioret : Cela m'a pris beaucoup de temps de réflexion, de maturation... Je l'ai lu il y a une dizaine d'années : je l'ai trouvé formidable. C'est un grand livre habité. En cinéaste, je n'ai pas pu m'empêcher de me demander comment "l'emmener" au cinéma, mais il me semblait qu'il n'y avait rien à faire avec ses voix intérieures permanentes.
J'ai fait d'autres films sans jamais l'oublier et, doucement, je me suis mis à me re-raconter l'histoire, bizarrement devenue très personnelle. En le relisant, j'ai constaté qu'il n'avait plus rien à voir avec ce que je pensais en faire : des mots-clés restaient (Canada, père, fratrie), mais tout avait changé.
J'ai racheté les droits du livre (même si je n'en avais plus besoin légalement) parce qu'il m'avait inspiré, et j'ai envoyé mon scénario à Jean-Paul Dubois. Il m'a répondu ce truc très rigolo : « Ah oui, c'est bien... Faites le film et j'écrirai le livre après, parce que c'est totalement différent. » (rires)
Avez-vous réécrit le dialogue avec les comédiens
Contrairement à d'habitude, oui, par la force des choses. N'étant pas québécois, quand j'écris je ne mets pas des "crisses de tabernacle" à toutes les répliques. J'ai découvert aussi les problèmes d'accent. Rien qu'à Montréal, on dit qu'il y en a trois différents : celui des beaux quartiers, le "québécois ma chère" ; celui des quartiers suburbains (le phrasé des films de Dolan, le "québécois pas cher") et enfin celui du quartier juif, le "québécois kasher" ! Nous avons fait en sorte que les spectateurs français n'aient jamais besoin de sous-titres, et que ceux du Canada trouvent les discussions authentiques.
Cela dit, la parole est secondaire. Beaucoup de messages passent par le non-verbal...
Depuis des décennies, la télé a apporté une autre façon de concevoir les films : on dit aux scénaristes « attention, le public n'est pas captif ! », donc pour qu'il continue à comprendre l'histoire en faisant sa vaisselle, il faut passe par le verbe. Au cinéma, le public est assis dans une salle noire et il regarde. Et si on l'emmène tout le temps par la main, si on lui souffle tout dans l'oreille à chaque fois, le cinéma perd quelque chose.
Le spectateur doit avoir sa part de cheminement scénaristique ! « Le mot est dans le regard » disait Brel dans Les Marquises... Moi, tout ce que je veux, c'est y croire. Mais quand on a beaucoup travaillé en amont pour ne pas voir le travail, c'est assez simple...
L'ambiance de tournage d'un film allant vers un dénouement lumineux est-elle différente des précédents, à l'engagement marqué et à l'issue sombre ?
Non... Sauf que moi j'avais envie et besoin de faire un film solaire. Je ne suis pas sorti indemne de Welcome et de Toutes nos envies ; j'étais franchement dans un sale état. Avec Welcome, je me suis retrouvé dans le bazar de la loi sur les personnes en situation irrégulière ; j'étais invité au moindre débat sur les migrants... C'était schizophrénique : j'avais juste fait un film racontant l'histoire d'un maitre-nageur. Bien sûr, la cause humaine, politique, ça m'intéresse ; mais ce que j'aime avant tout, c'est raconter des histoires. C'est pour cela que Le Fils de Jean est plus dans la veine de Je vais bien ne t'en fais pas...
L'avez-vous déjà montré au Québec ?
Oui, à ceux qui ont fait le film. Le distributeur québécois m'a dit vouloir le sortir à Noël, en face de Star Wars, parce que tous les autres ont peur et qu'il n'y a aucune contre-programmation face à ce déferlement. Alors, allons-y. Si ça se trouve, on va faire 2 $... (rires)