Pierre Coré : « J'aime qu'il y ait des niveaux de lecture pour chaque public. »

Le réalisateur de Sahara revient sur la conception de son premier long métrage d'animation. Où l'on apprend comment un éléphant ivre influence une danse serpentine...

N'était-ce pas risqué de choisir des serpents pour héros ?
C'était une terre vierge : c'est la première fois que l'on fait un film avec des serpents un peu gentils — le contraire de Kaa dans Le Livre de la jungle ou de Persiffleur dans Robin des bois chez Disney. Quand j'en ai parlé aux animateurs, ils trouvaient le concept fort, mais en commençant à réfléchir, ils comprenaient pourquoi on ne l'avait jamais fait (rires). J'avais déjà des dessins sur lesquels j'avais enlevé les crochets et les langues fourchues, qui sont effrayants ; j'avais aussi pensé à suggérer les écailles comme des tatouages au henné pour les femelles et ethniques pour les mâles. Ou mis des yeux frontaux comme les mammifères. Anthropomorphiser un serpent est compliqué pour un animateur, on a donc beaucoup travaillé pour trouver des postures. Ici, rien n'est naturel ; il y a une licence permanente pour leur permettre d'avancer de façon rectiligne alors qu'ils se meuvent de manière sinusoïdale. Et lorsqu'ils vont vite, ils font des sauts rappelant des dauphins, des gazelles ou des belettes — c'est-à-dire des animaux qu'on aime.

L'observation de vrais reptiles a-t-elle été utile ?
Oui, pour analyser ce qu'il fallait enlever. On a gommé tout ce qui allait déranger un spectateur occidental, car en Asie ou au Moyen Orient, le serpent est symbole de vie, de renaissance. Ils ont moins de soucis que nous par rapport à sa représentation.

Le minimalisme de la morphologie de l'animal ne vous empêche pas de le faire danser...
C'était un grand défi. D'abord, on a beaucoup travaillé pour que la queue puisse être utilisée comme une main ; qu'elle sorte du cadre et revienne. Ensuite, il a fallu des mois d'animation pour raconter la grâce sans bras, ni jambe, ni bassin, avec juste une ligne. La battle de breakdance est notre gros morceau de bravoure !

Auparavant, la première séquence de danse — qui est une transe — vous donne l'occasion d'une rupture stylistique particulièrement osée dans la forme et le message...
Elle est très particulière car on rentre dans de l'émotion, dans la tête d'Eva, qui perd le contrôle : toutes les choses se bousculent, deviennent effrayantes, sensuelles — presque sexuelles — dans une explosion de couleurs. Ma scène de référence, parce qu'elle m'a marqué petit, c'était celle où Dumbo est ivre. Je voulais qu'elle soit en 2D pour avoir plus de latitude, qu'on dise clairement qu'il s'agissait d'un univers à part, moins contrôlé. Dans cette rêverie, Omar le charmeur de serpent devient une méduse inspirée du Caravage, des serpents ondulent vers une planète comme des spermatozoïdes vers un ovule... C'est une séquence classe SVT 3e/4e (rires) Des adolescentes sont venues me voir avec des joues un peu rouges à la fin d'une projection pour me demander si leur interprétation était exacte (rires). Les tout-petits ne captent pas ça, et c'est très bien. J'aime bien qu'il y ait des niveaux de lecture différents pour chaque public.

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