Avec "Que Dios Nos Perdone", en salle le 9 août, le jeune et affable Rodrigo Sorogoyen a signé l'un des thrillers les plus enthousiasmants de l'année. Rencontre avec un cinéaste qui compte déjà en Espagne.
Au vu de votre film, une question s'impose : avez-vous eu des problèmes avec votre mère ?!
Rodrigo Sorogoyen : Pas jusqu'à ce que je la tue (rires) ! Non, je l'adore. Mais c'est vrai qu'on a une relation particulière. Elle était séparée de mon père, je suis fils unique, donc on a une relation très étroite. C'est curieux parce qu'après ce film, j'ai fait un court-métrage qui s'appelle Madre (rires). Je devrais aller en psychanalyse (rires) !
Évidemment, il y a des références inconscientes et conscientes. Chaque fois qu'on parle d'un psychopathe qui l'est devenu en raison d'un traumatisme lié à sa relation avec sa mère, on pense à Psychose. Avec ma coscénariste Isabel Peña, on a essayé de ne pas copier...
Elle est votre partenaire d'écriture depuis toujours ?
Notre premier scénario a été pour un film avec seulement deux personnages, qui a été important dans notre histoire personnelle. Isabel me donne des choses qu'on n'obtiendrait pas avec deux hommes ou deux femmes. Pas parce qu'elle est femme, mais parce que c'est elle.
Y a-t-il eu beaucoup d'évolutions entre votre scénario et le montage final ?
On a beaucoup travaillé le scénario pendant deux ans, il n'a pas beaucoup changé. Dès le début, on voulait faire un film de personnages, plus qu'un un polar. On savait que le polar, c'était très important pour les producteurs et pour les spectateurs, et amusant pour nous – c'est génial pouvoir faire un film avec une course-poursuite, une fin, des victimes... – mais la psychologie des trois personnages principaux était plus intéressante.
La phase de montage a été la plus difficile : aussi dure et frustrante que l'écriture était amusante et le tournage agréable. Nous avions beaucoup de pression de producteurs, pour un film plutôt bon marché : il a coûté moins de 2 millions d'euros. Le premier montage durait 3 heures, j'ai dû couper une partie de l'enquête pas trop cinématographique : l'ennui des policiers qui ne trouvent rien – qui correspond pourtant à une réalité.
Le décor dans lequel vous situez votre film est critique à tout point de vue : social, politique, météorologique...
C'était l'une de nos premières décisions. Il était important d'avoir un contexte qui soit intéressant et qui se démarque. On a choisi la visite du Pape et les manifestations des Indignés parce que dramatiquement, c'était très fort de pouvoir mettre des policiers en train de frapper dans ce décor chaotique, avec la chaleur. C'était attrayant et intéressant au moment d'écrire le scénario, et puis parce qu'Isabel et moi avons vécu cette période, dans notre ville, à côté de notre maison.
La chaleur est davantage qu'un catalyseur : c'est presque un personnage, qui justifie d'ailleurs qu'un meurtre est commis avec un ventilateur...
La chaleur est venue très vite, car le contexte devait être estival : Madrid l'été, c'est génial, c'est l'enfer ! Tout le monde transpire et la violence augmente. Après, on voulait que l'assassin tue un personnage important. C'était génial qu'il le fasse avec un ventilateur, qu'il avait sous la main. Tout cela s'est construit lentement, organiquement...
Ce meurtre, justement, est inclus dans un plan-séquence particulièrement complexe. Comment l'avez-vous conceptualisé ?
Avec beaucoup d'attention et de préoccupation car je suis très “ami” des pirouettes techniques (rires) ! Je voulais que ce soit la scène la plus spectaculaire dans ce film qu'on désirait naturaliste. C'est l'unique moment où, dans une même scène, on change le point de vue des enquêteurs vers l'assassin car ils sont dans la même pièce. C'était justifié, obligé même, de faire un plan-séquence lorsque l'assassin s'enfuit en sautant par la fenêtre. On n'a pas coupé : c'est l'acteur qui joue l'assassin qui saute, avec un harnais qu'on a ensuite effacé. On a tourné avec une seule caméra mais deux opérateurs : le premier qui était dans la chambre du meurtre, a passé la caméra à un autre opérateur monté dans une grue quand l'assassin saute par la fenêtre. C'était techniquement très difficile, avec beaucoup de précision et de calcul. Mais je suis très content du résultat.
Est-il facile de faire le cinéma que l'on souhaite en Espagne lorsqu'on est un jeune réalisateur ?
Moi j'ai de la chance, je ne peux pas le nier, mais c'est une catastrophe ! On a des politiques qui ont déclaré la guerre à des cinéastes, à la culture en général et particulièrement à des cinéastes. Heureusement, je sais qu'on est très mis en valeur en Europe – je ne sais pas à quel pourcentage.
Vous imaginez-vous tenter l'aventure aux États-Unis ?
Pas vraiment... D'abord, mon anglais est horrible : c'est frustrant de ne pas comprendre ni pouvoir m'exprimer à 100%. Ensuite, la façon de faire ne me plaît pas. À Hollywood, il y a beaucoup de réalisateurs incroyables, mais très peu sont totalement libres. Et je sais que moi non plus, jamais, je ne le serai...
Après le beau succès ibérique de Que Dios Nos Perdone, quels sont vos projets ?
Nous tournons en ce moment un thriller politique, à nouveau avec Antonio de la Torre. Le protagoniste est un politique corrompu, en 2007-2008, quand commence la crise. La crise est une bénédiction pour les idées, pas pour la production (rires) ! On voulait raconter le moment avant que la corruption explose, quand tous les politiques se sentaient au-dessus des autres, jusqu'à ce que tous les cas sortent en 2007. C'est une fiction, mais quiconque connaît la situation politique espagnole verra des choses qui ressemblent à la réalité.