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Annemarie Jacir : « Je voulais faire un film sur cette contradiction d'être un Palestinien en Israël »
Par Vincent Raymond
Publié Lundi 12 février 2018
Wajib - L'invitation au mariage
De Annemarie Jacir (Pal, 1h36) avec Mohammad Bakri, Saleh Bakri...
Poétesse et commissaire d’exposition, Annemarie Jacir œuvre dans le cinéma indépendant depuis vingt ans. "Wajib - L’Invitation au mariage" est son troisième long-métrage. On en a parlé avec elle.
Quel a été le point de départ de Wajib ?
Annemarie Jacir : Je voulais faire un film sur cette contradiction d’être un Palestinien en Israël. Aujourd’hui, Nazareth est la plus grande ville palestinienne en Israël ; une ville très tendue avec beaucoup de contradictions politiques et économiques, où les gens ont beaucoup d’humour – ils l’utilisent comme mode de survie.
Quant à la tradition très ancienne des faire-part de mariage, elle n’est plus beaucoup pratiquée en Palestine aujourd’hui ; seulement par les Palestiniens en Israël comme signe d’affirmation de leur identité.
à lire aussi : "Wajib - L'invitation au mariage" : road movie à Nazareth
Vous parlez de contradiction ; justement, votre film parlant d’un mariage s’ouvre sur une litanie de noms décédés et se termine par une mort. Sans parler des spectres qui le hantent…
Je suis heureuse que vous souligniez ce point, car le mariage et la mort s’allient ici. Le père Abu Shadi est obsédé par la mort. Et les enfants s’inquiètent pour leurs parents : le fils Shadi réalise qu’il va perdre son père. Abu Shadi a travaillé toute sa vie pour construire une famille, mais finalement, sa femme est partie, sa fille va se marier et son fils vit à l’étranger. Ce mariage, c’est un peu la dernière chance pour lui de reconstruire une cellule familiale, d’être ensemble.
La jeunesse palestinienne est-elle si nombreuse à quitter Nazareth pour vivre à l’étranger ?
Le fait que les jeunes partent de Nazareth ne se limite pas à la question des Palestiniens : dans le monde arabe en général, les jeunes veulent partir. Ils voient les États-Unis comme une destination de rêve. Il faut bien admettre que leurs possibilités sont très limitées : on atteint le plafond de verre assez rapidement. Sur le papier, tous les citoyens sont égaux. Mais dans les faits, les Palestiniens sont des citoyens de seconde classe.
Pour vous donner un exemple concret, ils ne font pas le service militaire – contrairement aux juifs israéliens qui le font tous. Et à partir du moment où l’on a accompli son service, on a une carte spécifique permettant d’accéder à des emplois, auxquels on n’a pas accès si l’on n’a pas fait de service.
Dans le cas de Shadi, il était très heureux à Nazareth, il était actif politiquement, il avait son ciné-club, mais il a dû partir. À présent qu’il revient, avec son expérience de vie à l’étranger, il voit tout ce qui est négatif, et la liberté qu’il a gagnée à l’étranger.
Avez-vous dû demander des autorisations ou des permissions particulières pour tourner votre film ?
Puisque le film ne bénéficie pas de fonds israélien, que ce soit de l’État ou de l’équivalent du CNC local, nous n’avons pas eu d’autorisation spécifique à demander – à part celle de la municipalité de Nazareth elle-même et celle de “l’Élite”, l’ancienne colonie juive sur les collines de Nazareth qui a sa propre municipalité.
Car l’on peut passer d’un quartier à l’autre sans s’en rendre compte. Cette partie-là était une colonie juive, parce que les juifs ne voulaient pas vivre trop près d’un village palestinien. Et puis des maisons sont restées vacantes. Du coup, des gens se sont installés : musulmans, chrétiens, ce qui donne un mélange très intéressant. C’est pour cela que lorsqu’ils arrivent à la colonie et que Shadi demande « mais qui vit là ? » son père répond « la moitié de Nazareth ».
Avez-vous demandé des fonds israéliens pour tourner ?
Certains en demandent ; pour moi, cela aurait été une contradiction.
Le personnage de Shadi manifeste des sentiments d’une grande ambivalence face à la ville…
Pendant tout le film, Shadi critique tout, se plaint tout le temps, se bat contre Nazareth. À la fin, je voulais que ce ne soit pas qu’une histoire de réconciliation entre le père et le fils, mais entre Shadi et la ville où il a grandi. La scène où il partage du pain avec un vendeur le montre beaucoup plus calme, comme s’il était dans une sorte de réconciliation avec la ville. Nazareth est constamment présente dans le film ; c’est comme si c’était un troisième personnage principal.
Qui sont vos comédiens principaux ?
Saleh et Mohammad Bakri sont vraiment père et fils dans la vie. Le père est un acteur très célèbre en Palestine, son fils est en train de devenir un acteur connu, et de travailler dans des productions internationales. C’est la première fois qu’ils partagent l’affiche d’un film. Pour eux, c’était à la fois un film très important et un vrai défi.
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