Junk Head de Takahide Hori : robot, après tout

Junk Head de Takahide Hori : robot, après tout

Le film coup de cœur / Fruit du travail de bénédictin d'un homme seul durant sept années,   "Junk Head" décrit en stop motion un futur post-apocalyptique où l'humanité aurait atteint l'immortalité mais perdu le sens (et l'essence) de la vie. Un conte de science-fiction avec monstres et robots, dieux et mutants, qui n'aurait pas déplu à Jean-Claude Mézières. Un chef-d'œuvre.

Dans un futur indistinct, les Hommes ont triomphé de la mort grâce à la génétique et survivent encapsulés à la surface d'un globe pollué. Ne sachant plus enfanter, ils dépêchent une mission d'exploration au centre de la Terre, là où sont relégués les résultats d'expériences de clonages et de mutations. Malheureusement, leur messager est intercepté et gravement blessé, au point que sa tête est greffée sur le corps d'un robot par “ceux du bas“ qui le prennent pour un dieu...

On pourrait croire à un gag, mais il n'en est rien. Le générique de fin de Junk Head se pose parmi les plus stupéfiants de ces dernières années puisque le nom de Takahide Hori s'y déchiffre un nombre incalculable de fois : concepteur et exécutant absolu, l'auteur occupe quasiment tous les postes de ce monumental chantier d'animation en stop motion.

Une performance technique au service d'un projet artistique hors du commun, le résultat étant esthétiquement grandiose et le propos d'une somptueuse gravité, rappelant autant les cauchemars faits romans de Philip K. Dick, Bradbury, Matheson, Asimov ou Lovecraft, leurs adaptations comme la foule des œuvres qu'ils ont inspirées de Ridley Scott aux Wachowski en passant par Nolan. Mais aussi l'aventure de Valérian et Laureline L'Empire des mille planètes de Christin et Mézières, où des humains sont divinisés – à l'instar du héros de Junk Head.

 

La tête et les jambes

Film d'aventures haletant, foisonnant de plans inventifs et peuplé de monstres chimériques semblant échappés des toiles de Jérôme Bosch, Junk Head est aussi une vertigineuse métaphore de la quête identitaire. Une quête collective, puis individuelle au fur et à mesure que le protagoniste déchoit dans les tréfonds du monde.

Parti retrouver des mécanismes physiques permettant à l'Homme d'interagir avec ses semblables (et avoir une descendance), il perd (plusieurs fois) son propre corps, temporairement sa propre mémoire et jusqu'à sa propre conscience – quasiment dissoute dans des recombinaisons cybernétiques de moins en moins évoluées.

Son ultime avatar androïde, semi-détritique, le condamne d'ailleurs aux tâches les plus ingrates de cette lie de la société, ainsi aux quolibets et tourments de ceux qui la peuplent. Les créatures des abysses ont des bas instincts fort peu éloignés des nôtres.

Le méticuleux Takahide Hori livre ici une réflexion à propos sur ce transhumanisme surexcitant actuellement des milliardaires plus effrayés par leur inéluctable finitude que par l'état de la planète. Ceux-ci espèrent s'acheter une fraction d'éternité en pactisant avec l'intelligence artificielle. Une transaction illusoire risquant d'obérer l'avenir commun pour un résultat égoïste et dérisoire.

À moins que la perspective de se retrouver emprisonnés dans un poumon d'acier H24 ou recyclés en robot balayeur ne les fasse rêver...

Un mot pour finir sur l'interdiction aux moins de douze ans frappant ce film. Elle comblera les amateurs de paradoxes à la Schrödinger puisqu'elle est à la fois saugrenue et justifiée. Ironiquement absurde d'abord, car rien dans ce qui est raconté ou montré ne saurait être de nature à choquer un jeune public, soumis ordinairement à de plus graves images ou concepts – sans que les instances de régulation ne s'en émeuvent outre mesure.

Tristement compréhensible ensuite, car le propos politico-philosophique et la poésie du chaos que file cette fable dystopique risqueraient hélas de leur passer au-dessus de... la tête. À tous les autres revient donc l'enviable privilège d'élever cet objet cinématographique si singulier au rang de succès, puis de classique.

★★★★☆ Junk Head de Takahide Hori (Jap., int.-12 ans 1h41) avec les voix de Takahide Hori,  Yuji Sugiyama,  Atsuko Miyake...(sortie le 18 mai)

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