Victoria Bedos (La plus belle pour aller danser) : « J'essaie de réparer les failles de l'adolescence »

Interview / Fille de, sœur de… et surtout scénariste d’un film dont le remake a décroché l’an passé l’Oscar du meilleur film, Victoria Bedos signe sa première réalisation, "La Plus Belle pour aller danser", qu’elle avait présentée lors des Rencontres du Sud avec son enthousiasme coutumier. Rencontre.

Comment en êtes vous venue à raconter cette histoire de travestissement ?

Victoria Bedos : Au départ, la productrice Victoria Cases, qui avait beaucoup aimé La Famille Bélier, m'a proposé de réaliser un film adapté d'un livre dont elle avait acheté les droits, et qui parlait des problèmes de mal-être liés à l'adolescence le mal-être. Je suis repartie avec le livre, avec son sourire et toute l'énergie qu'elle m'avait donnée pour croire en moi pour être réalisatrice. J'ai beaucoup aimé le livre mais j'ai senti que j'avais une autre histoire à raconter, plus personnelle : la mienne. Je suis restée sur cette thématique d'adolescence et avec mon co-scénariste, on a papoté comme dans un café ; il me posait des questions sur la manière dont j'avais vécu mon adolescence, moi sur comment il était… Au fur et à mesure, on a eu cette envie de raconter l'histoire d'une jeune fille qui se cherche, qui a du mal à découvrir sa féminité, qui n’est pas très bien dans sa peau – l’adolescence, c'est souvent ça, quoi.

Quand j'avais l'âge du personnage, je n’étais pas la fille la plus cool du lycée. Ce n’était pas très facile pour moi, je n'étais pas invitée aux boums. J’avais envie de parler de cette problématique-là. Et comme on aimait beaucoup les films de travestissement, qui sont pour moi un genre cinématographique très ludique, très chouette, on s'est dit : « Et si on racontait l'histoire de cette jeune fille transparente quand elle est en fille mais qui tout d'un coup quand elle se met en garçon, devient une sorte de héros très charismatique ? ». Tout ça racontait plein de choses, et je m'en suis aperçue au fur à mesure de l’écriture. Un garçon, ça ose plus, ça redresse les épaules –  ça se voit même dans les postures physiques.

Après, l’histoire père-fille s’est mise en place. Ma productrice et moi avons toutes les deux des pères forts, et sommes dans des fratries avec beaucoup de garçons. On a eu du mal à trouver notre place en tant que fille ou femme ; ça me plaisait, donc, de raconter la maladresse paternelle. Comment un père réagit quand sa fille grandit et qu’elle lui échappe. J’ai vu avec mon papa, mais aussi autour de moi, à quel point ce passage à l'âge adulte était compliqué pour les pères notamment quand il n’y a pas de maman pour parler des choses de la vie, de l'amour ou des règles, de la puberté… C'est plus compliqué entre un père et une fille. Peut-être qu'il y a des pères plus modernes, qui ont ouvert un peu les vannes ; mais dans le film, il est très encombré par la féminité de sa fille. Il ne sait pas comment communiquer avec elle.

Dans tous vos scénarios, vous avez des personnages principaux chrysalides – y compris dans Vicky – inscrits à l’intérieur de familles atypiques. Qu’est-ce qui vous attire autant dans ces familles atypiques ?

Déjà, cinématographiquement, c'est plus intéressant de raconter des histoires un peu hors normes parce que ça crée plus de comédie, c'est plus amusant ; puis dans les familles hors normes, on peut aussi mettre quelque chose de plus universel. Et puis, je n’ai pas envie de voir la réalité : si je fais du cinéma, c'est pour pousser les curseurs, pour raconter des histoires qui nous dépassent. Ayant été élevée dans une famille un peu hors norme je crois que je suis plus habitué aussi à cette disposition-là : être une famille “pas comme les autres“.

En endossant les vêtements de son père, Marie-Luce endosse aussi la mode des années 1980. Parallèlement, le film prend des références ou des codes des teen movies de cette époque. Vous aviez les Goonies, Stand by me en ligne de mire ?

J'ai été bercée par ça ! Je suis une enfant des années 1980, donc bien entendu, j'ai joué avec ce que je connaissais et avec quelque chose de plus moderne. Ce qui m’amuse, c'est de jouer avec les époques et les genre. Pareil, j’ai joué entre la comédie et le drame ; entre notre époque et celle des années 1980.

Dans la scène nocturne, la pleine lune éclatante a un côté Amblin’…

Mais complètement ! C'est comme ça qu'on l’a travaillée : j'ai dit à mon chef-opérateur : « je veux comme dans Spielberg ! » Ça faisait très caprice de star. « Avec un extraterrestre ? Non, pas d’extraterrestre » (rires)

Avez-vous retraité la voix de Brune Moulin lorsqu’elle est "en garçon" ?

Non pas du tout ! Tout est naturel. Brune a beaucoup aussi travaillé au niveau de l'attitude avec une chorégraphe et au niveau de la voix. On a beaucoup travaillé parce que je ne voulais pas non plus qu'elle "devienne un garçon". Il fallait qu'il y ait la jeune fille, Marie-Luce, qui soit là derrière, tapie dans l'ombre qui ressorte parfois. Donc il fallait que la voix soit pas une totalement techniquement masculine, mais qu’il y ait un petit peu d’aigu ; dans son attitude il fallait qu'elle se retienne parce que c'est de la comédie.

Ce qui était compliqué pour elle, c’était de tenir la voix sur la longueur, notamment quand elle devait s’énerver parce que naturellement elle montait dans les aigus. J’ai appris après que Philippe Katherine, comme il est chanteur, lui avait donné un conseil : « Pour trouver la voie la plus grave, il faut que tu montes très haut dans les aigus. » Et elle faisait des exercices vocaux dans les coulisses pour essayer de trouver son grave. Elle a tout donné pour ce rôle.

Est-ce que le destin de La Famille Bélier, que vous avez écrit, vous a donné confiance pour  écouter davantage vos certitudes et aussi les imposer davantage aux comédiens ?

Ce sont deux métiers différents… Le scénariste écrit son scénario, il le donne et puis c'est terminé – pas sur tous les tournages : moi, je suis pour que les scénaristes soient sur les plateaux, même pour eux, parce qu’ils ont écrit pendant très longtemps une histoire et je trouve formidable qu’ils participent et qu’ils voient ce que ça donne concrètement.

Je vais préciser : vous êtes tout de même, avec La Famille Bélier, l’autrice d’un scénario dont le remake américain, Coda, a remporté l’Oscar l’an passé…

Oui oui, bien sûr ! Alors prendre confiance en soi, c'est très long. J’ai eu une faille dans ma confiance en moi à l'adolescence : il y a quelque chose qui s'est un peu brisé pour plein de raisons. Et je ne fais qu’essayer de réparer cette faille, par le cinéma, notamment — je vais me mettre à pleurer (rires) — et en parlant de l'adolescence précisément. C'est très long de prendre confiance en soi quand on n’en a pas du tout. Parfois, mon entourage, ma famille, me dit : « Enfin, ça va maintenant ! Tu peux être mieux dans ta peau, ça peut aller ! » Mais c’est long. C’est très long. On a beau avoir ce succès, je ne suis pas sûr que ça répare tout.

Qu’avez-vous pensé de Coda ?

C’est super, c'est vachement bien. C'est très différent parce que le film français est profondément populaire, avec les codes de la comédie populaire française, alors que le film américain est plus du genre indépendant, avec un filmage plus chic, plus sophistiqué ; un jeu plus auteur… Ça donne deux choses différentes alors que c’est la même histoire. Ma seule déception, c'est qu'il avait pas Michel Sardou dans la version américaine ; du coup je trouve que le film ne fonctionne pas du tout (rires).

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