Cannibale : la (géniale) Compagnie créole du label Born Bad Records

Cannibale + Villejuif Underground

La Bobine

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

À l'occasion de la tournée célébrant ses dix ans, le label parisien Born Bad Records (La Femme, Cheveu, Frustration, Catholic Spray, J.C.Satàn...) dépêche en terres grenobloises deux de ses pépites les plus azimutées et musicalement incontrôlables : le coolos Villejuif Underground et, surtout,  les redoutables Cannibale, quarantenaires qui bouffent à tous les râteliers musicaux en créolisant le rock avec un appétit pan-exotique hautement contagieux.

Qui a vu le film culte Cannibal Holocaust (1980) n'en a sûrement jamais effacé les images de sa rétine. Dans ce vrai-faux docu longtemps interdit et si monstrueusement réaliste que son réalisateur, Ruggero Deodato, a dû apporter les preuves devant un tribunal italien que ses acteurs étaient encore en vie, un groupe de journalistes en quête de sensation et fort antipathiques part à la recherche d'une tribu cannibale au cœur de la forêt amazonienne et se fait recevoir avec les honneurs dus à son manque de savoir-vivre : les voilà transformés en brochettes humaines sauce état de nature, confirmant au passage l'adage selon lequel l'homme est un loup pour l'homme et que tel est pris qui croyait prendre.

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On ne sait guère à quelle sauce Jean-Baptiste Guillot, boss du label français indépendant Born Bad, s'attendait à être mangé lorsqu'il enfourcha sa moto à destination d'un coin reculé de Normandie à la rencontre d'une tribu elle aussi Cannibale, dont la réputation commençait à bruire à travers les feuilles jusqu'aux oreilles des suiveurs de l'émergence musicale – il était temps, les membres de Cannibale, la quarantaine bien tapée, avaient officié deux décennies durant dans une kyrielle de groupes dont le dernier, Bow Low, avait connu un début de petit succès classé sans suite.

Purée

Toujours est-il qu'à ce que raconte la légende (diffusée par les dires des différents protagonistes), les Cannibale lui réservèrent un accueil franc mais fruste, lui servant en signe d'hospitalité un plat plus commun que sa propre tête au bout d'une pique : une bonne vieille purée des familles. Laquelle n'en contenait pas moins une haute portée symbolique et l'idée que, s'il fallait mettre les tripes de quelqu'un sur la table, ce serait les leurs. Autrement dit : au sens figuré, la purée, ils allaient l'envoyer. Et autrement, s'il vous plaît, que sous la forme d'un vulgaire écrasé de Bintje servi sur le coin d'une table rustique.

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Au menu donc, des autoproclamés « exotica-psyché-pop » et « garage réunionnais », termes valises (et même cantines d'armée) bien pratiques pour les dossiers de presse, mais en réalité tellement d'autres choses pas toujours identifiables. Car au fond, ce que proposent Cannibale et leur premier album, le carnassier No Mercy for love, c'est une sorte de vaudou musical, avec tout ce que cela comporte de syncrétisme esthétique et de risques que le corps et l'esprit ne répondent plus, que les yeux se révulsent et que les poulets sans tête s'entêtent. Une sorte de blues tribal qui s'agrémente d'orgues déchaînés dressés pour la transe et la transsubstantiation païenne, de rythmiques rituelles à réveiller les morts et faire marcher les zombies et de guitares à trancher la barbaque.

Mauvaises graines

Ici, les séries B des années 1970 (celles de Mario Bava, Lucio Fulci, Sergio Leone) et leurs bandes sons croisent l'acidité psychédélique des Seeds (No Mercy For Love, Hoodoo Me), les Bee Gees poussent des aigus possédés dans la jungle (Diabolik Prank) tandis que plane l'ombre chamanique du roi lézard Jim Morrison fusionné avec Nick Cave par un autre genre de graines (« seeds »), mauvaises celles-là (Mama).

À ceux qui penseraient métissage, terme générique rapidement invoqué, il faudrait répondre créolisation, telle que théorisée par le poète et philosophe martiniquais Édouard Glissant : « Parce que la créolisation est imprévisible alors que l’on pourrait calculer les effets d’un métissage. La créolisation, c'est le métissage avec une valeur ajoutée qui est l'imprévisibilité. Elle crée (…) des microclimats culturels et linguistiques absolument inattendus, des endroits où les répercussions des cultures les unes sur les autres sont abruptes ».

L'imprévisibilité, dans ce qu'elle a de plus réjouissant et abrupt, de magnifiquement désarçonnant, c'est bien tout ce qu'inspire la rencontre en forme de choc culturel avec cette bande de Cannibale made in Normandie.

Cannibale + Villejuif Underground
À la Bobine vendredi 20 octobre à 20h30

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