Du bis, du cul, du Z !

Cinéma / Quinze ans après sa création parisienne, L'Étrange Festival se délocalise à Lyon, pour cinq jours célébrant la cinéphilie déviante, le cinéma bis et le mauvais goût assumé, avec cette année une prédilection pour des films à l'esprit joyeusement libertaire. Christophe Chabert

Les petits Michelet de la cinéphilie ont écrit l'Histoire du cinéma en grandes lignes imprescriptibles qui, chaque semaine, trouvent écho dans la moindre critique de Télérama.
Mais à côté de cette ligne droite et blanche, une multitude de Foucault débraillés ont compris que cette Histoire s'écrivait aussi dans les marges, reflet déformé et du coup révélateur des vraies lignes de pouvoir qui définissent ce qui est montrable et ce qui ne l'est pas. Depuis sa création il y a quinze ans à Paris, L'Étrange Festival s'est fixé comme but de faire remonter à la surface les cinéastes et les œuvres qui grouillent hors des carcans du cinéma institutionnel ; mais le programme qui en ressort voit se croiser sauvagement l'avant-garde assumée et l'exploitation la plus crasse, l'art pur et dur et le commerce qui salit les yeux et les doigts.
Comme si les deux extrêmes du cinéma se rejoignaient finalement dans une même volonté d'exposer tout en haut ce que beaucoup aimeraient voir tout en bas : du sexe, de la violence, du tabou piétiné sauvagement, attaché, fouetté, mutilé, violé et finalement libéré.Nouvelle Vague de plaisir
En mars 2008, L'Étrange Festival s'installe à Lyon au Comoedia, pour cinq jours d'orgie filmique transgressive et déconseillée aux âmes prudes. Mars 2008, c'est quarante ans après les «événements» qui avaient commencé, en mars... à la Cinémathèque française !
Rien, dans les déclarations d'intention des organisateurs, ne laissent penser que ce parallèle est intentionnel. Au contraire, la culture «geek», socle sur lequel se déploie cette archéologie d'un septième art bizarre, se moque comme de sa première Playstation de toute collusion politique avec l'objet de sa passion déviante.
Pourtant, impossible de ne pas faire le parallèle quant la sélection des films projetés pioche dans un cinéma marqué par le tournant des années 70, et dans une France encore en effervescence morale et sexuelle.
Il y a ainsi, en plein coeur du festival, un film à ne rater sous aucun prétexte : Jours tranquilles à Clichy, réalisé par le Danois Jens Jorgen Thorsen. Filmé en 1969, il adapte le bouquin choc d'Henry Miller relatant ses extravagantes aventures sexuelles dans le Paris des années 50.
Thorsen empoigne le livre avec une vigueur réjouissante, transpose l'action au moment du tournage et filme avec la même liberté coïts non simulés et instantanés de la vie parisienne.
La Nouvelle Vague et mai 68 sont passés par là, et Jours tranquilles à Clichy est à la fois une fiction dont la grammaire s'inspire fortement du cinéma moderne (des extraits du texte s'inscrivent sur l'écran, les faux-raccords à la Godard pullulent...) et un document essentiel sur l'ambiance de l'époque. Une véritable ode au plaisir et au sexe, particulièrement crue et en même temps étrangement romantique.Liberté, égalité, perversité
C'est le même vent de liberté, de désir et de transgression qui souffle sur l'autre événement du festival : sa thématique «Corruptio», quatre films qui défriseront encore les spectateurs plus de trente ans après leur sortie.
A commencer par le cultissime Mais ne nous délivrez pas du mal, première oeuvre d'un cinéaste français majeur mais négligé, Joël Séria. Avant qu'il ne se lance dans des comédies féroces et mélancoliques portées par un grandiose Jean-Pierre Marielle (Les Galettes de Pont-Aven, Comme la lune), Séria avait réalisé ce bijou macabre hautement dérangeant où deux jeunes filles au charme hamiltonien bravent les interdits de leur pensionnat religieux pour honorer Satan en commettant le mal au quotidien.
La peinture dévastatrice d'un clergé hypocrite et corrompu allié à une bourgeoisie sourde aux changements moraux qui vont la balayer est toujours aussi puissante, et le final, renversant, annonce celui du Carrie de De Palma.
Par-delà tout jugement critique, deux films érotiques français typiques des 70's devraient aussi faire causer et glousser. L'adaptation, fidèle au point d'en être aussi lassante que l'oeuvre originale, de la Justine de Sade par Claude Pierson et surtout l'ahurissante Papesse, équivalent cinématographique des chansons apocalyptiques de Gérard Palaprat.
Il s'agit d'une suite de séquences SM et d'orgies conduites par une authentique prêtresse satanique nommée Gésialde (sic !), au milieu de faux Devendra Banhart à la pilosité surnaturelle.
Complètement barré donc, mais d'une ambiguïté totale : s'agit-il de condamner cette poussée de sève libertaire ou de l'étaler copieusement pour le plaisir lubrique d'un spectateur décomplexé ? En tout cas, le jeu épais des acteurs et les dialogues impossibles donnent au film une allure de série Z kitsch à prendre au 23e degré.Vagin denté ou phallus vorace ?
Que reste-t-il aujourd'hui de cet air de liberté anarchique et anarchiste ? Pas grand-chose, si on en juge la liste des avants-premières du festival...
Pas qu'il s'agisse de mauvais films (pour ceux qui ont loupé Los Cronocrimenes aux Reflets du cinéma ibérique, le rattrapage de cette merveille d'intelligence ludique est même impératif !), mais ils donnent la sensation d'un cinéma un peu trop conscient de sa bizarrerie, loin de l'innocence des années 70.
Il faudra toutefois être vigilant face à Teeth de Mitchell Lichtenstein, où une jeune adolescente chaste découvre que son vagin est doté de deux redoutables mâchoires. Le vagin denté ? Allo, Sigmund ? En fait, Lichtenstein, 42 ans, est le fils de Roy Lichtenstein (et pas l'ambassadeur américain du paradis fiscal), un des grands noms du pop art, ceci expliquant peut-être cela.
Le grand ancêtre du film, on le trouve dans la soirée rigolo-trash du samedi, où les années 80 gores et drôles assureront le spectacle : il s'agit d'Elmer, le remue méninges et son ver cérébral en forme de phallus vorace imaginé par ce grand taré de Frank Henenlotter.
Le film sera accompagné d'un sacré morceau gardé secret par le festival, mais on va donner un indice : son réalisateur a depuis réalisé une trilogie au succès planétaire. Et, à l'époque, il préférait la saignée au Seigneur...L'Étrange Festival.

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