L'Inde artistique, grand format

Sur deux étages et 2000 m², Indian Highway propose un vaste panorama de l'art contemporain indien à travers les œuvres d'une trentaine d'artistes. Une exposition foisonnante, dense et impressionnante. Jean-Emmanuel Denave

«Indian Highway» s'ouvre sur plusieurs sculptures de Barthi Kher qui donnent le «la» de l'exposition. Ses œuvres monumentales entremêlent des interrogations sur l'évolution sociale et historique de l'Inde et d'autres sur des sujets «mondiaux» tels que la technologie, l'écologie ou la génétique, comme cet énorme organe d'origine inconnue réalisé en fibre de verre, visuellement assez proche aussi d'un nœud de branches et de troncs d'arbres. La monumentalité, l'ambiguïté, l'absence de discours univoques, le croisement de l'ancien et du moderne, du local et du global, tels sont quelques-uns des aspects récurrents de l'art contemporain indien présenté à Lyon. À cela, on peut ajouter encore la mobilité et la trans-culturalité des artistes eux-mêmes, le trajet de Barthi Kher étant d'ailleurs des plus singuliers : la jeune femme est née en 1969 à Londres où elle a été formée avant de s'établir à New Dehli en 1990... Plus loin, nous découvrons deux installations de Suboh Gupta (né en 1964), le plus connu parmi les 31 artistes invités, une véritable «star» même sur la scène internationale. La première «Date by Date» est un ensemble de tables et de vieilles chaises enchaînées les unes aux autres, avec ici et là des machines à écrire vétustes, des amoncellements de dossiers kafkaïens. Il s'agit en l'occurrence de la reconstitution d'un cabinet d'avocats de rue abandonné. La seconde installation consiste en un immense rayonnage (25m de long, 4m de haut) contenant, très soigneusement rangés, des ustensiles de cuisine en inox, neufs et rutilants...Monumentalité
Héritier de Marcel Duchamp et de ses "ready-made", Gupta ne fait ainsi que déplacer des objets fonctionnels ou traditionnels dans l'espace d'un musée pour les transformer en œuvres plastiques et symboliques. Le procédé est simple et efficace : nous sommes confrontés tour à tour à un environnement sombre et inquiétant, puis à une œuvre clinquante et démesurée. Chacune des deux œuvres, au-delà de son effet sensoriel, a un rapport direct avec les transformations de la société indienne : la fermeture d'un service de proximité et l'ascension fulgurante d'une classe moyenne friande de ces ustensiles en inox. Ce fort impact visuel a peut-être aussi ses limites : le manque de profondeur et un aspect un peu démonstratif ? Dans la même veine, on pourra trouver drôle et imposant le «squelette» d'un camion citerne de Jitish Kallat, nommé avec humour "Aquasaurus". Véhicule symbolique des villes indiennes et sans doute promis à une rapide disparition au regard de la vitesse de rotation du libéralisme et du modernisme triomphants. Citons encore la construction en bidons d'essence de Sheela Gowda, le superbe et très inquiétant camion à l'échelle 1 de Valay Shende composé entièrement de billes d'acier, la ville délirante de Hema Upadhyay réalisée avec des objets trouvés et couvrant trois murs et un plafond... On pourrait reprocher à ces artistes de jouer trop la carte de la monumentalité, mais en réalité leur travail est plus complexe et on les retrouvera ailleurs exposant des photographies, des vidéos ou des peintures...Fragmentations
Toujours à grande échelle, d'autres artistes proposent des environnements multimédia plongeant le visiteur dans des univers fragmentaires, parfois inquiétants, toujours ambigus, aux confins du réel et de la fiction. Bose Krishnamachari a suspendu en grappe une centaine de gamelles de déjeuner pour employés d'où s'échappe le brouhaha chaotique de Mumbai et où l'on peut entendre et voir aussi les témoignages filmés de quelques-uns de ses habitants. Le talentueux collectif Raqs Media Collective expose les documentaires de huit réalisateurs (on y voit pêle-mêle des images d'un homme âgé se baignant, des paysages, des gares ou des stations de métro...) dans un décor fait d'escabeaux et d'échelles, le tout plongé dans une musique vaguement angoissante. Ailleurs, ce sont 27 horloges disséminées dans une salle dont les heures ont été remplacées par les mots : admiration, culpabilité, fatigue, extase, anxiété... Au milieu de l'espace, un visage apparaît sur des écrans, et une bande son délivre des bruits de battements de cœur, de goutte à goutte, de connexion de vieux modem... Le collectif s'appuie sur une réalité tangible pour mieux la déstructurer, en éclater les significations, la rendre étrange. Les artistes indiens de la post-modernité, comme leurs homologues occidentaux, ne nous livrent ni signification ni récit bien ficelé sur un plateau, mais nous plongent dans la complexité du monde, sa poésie ou ses dangers.Indian Highway
Au Musée d'art contemporain
Jusqu'au dimanche 31 juillet

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X