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«J'ai cessé de modifier la réalité»

Rencontre avec Steven Soderbergh autour de son dernier film, "Contagion". Propos recueillis par Christophe Chabert

Vous avez voulu faire de "Contagion" un film réaliste et sombre. Comment y êtes-vous parvenu ?

Steven Soderbergh : La première règle, c’était de ne pas aller dans des endroits où nos personnages n’avaient pas été. On ne pouvait pas raccorder sur Mexico ou Johannesburg, et montrer une bande de figurants mourir alors qu’on ne les a jamais vus auparavant à l’écran. C’est le genre de choses que l’on voit dans les films catastrophe. Cela force à trouver des solutions où les personnages vivent des situations qui suggèrent une échelle plus grande. L’autre règle, c’était de ne pas donner aux effets physiques de la maladie des formes trop improbables, comme du sang qui coule des yeux. Il fallait que ça corresponde à ce que nous imaginions du virus : une rapide et massive dégradation du cerveau. Et pour montrer comment les choses se détériorent, nous avons essayé de le faire de façon indirecte.
Il y a un plan que j’aime beaucoup et qui est très simple : Matt Damon quitte sa maison et se rend chez ses voisins. Nous le regardons par la fenêtre traverser la route. À ce moment-là, un énorme camion et deux voitures de police passent à toute vitesse. Si vous vivez dans ce genre de quartier, ce n’est pas le genre de choses auxquelles vous êtes habitués. Matt se contente de jeter un coup d’œil en arrière, comme pour dire : «Mon quartier est hors de contrôle.» L’autre chose, c’est le style. Ce n’est pas le style des films d’horreur : c’est très simple, il n’y a pas de caméra portée.

Le film montre comment un virus moderne voyage, mais aussi comment l’information et les images voyagent parfois plus vite que ce virus…
Oui, beaucoup plus vite ! C’est effrayant et c’est ce que nous avons découvert avec l’épidémie d’H1N1, qui s’est produite pendant qu’on travaillait sur le premier jet du scénario. Nous en discutions avec les scientifiques pour leur demander ce qui se passait. Et ils nous disaient que ce qui se passait, c’est qu’il y avait tellement d’informations qui circulaient sur internet qu’ils ne savaient pas comment la contrôler. C’est à ce moment-là que Scott Burns a créé le personnage de Jude Law : c’était une autre conséquence virale avec laquelle il fallait composer. Je suis si heureux que Jude soit dans le film. Il tournait Sherlock Holmes, et il fallait attendre trois semaines pour qu’il se libère et vienne tourner Contagion. J’ai regardé le film à ce moment-là, et ça ne fonctionnait pas. Il fallait cette voix dans le récit, simplement car cette voix existe et elle n’est pas prête de s’éteindre.

Comment avez-vous réussi à convaincre une star de jouer un personnage qui meurt dix minutes après le début du film ?
Je crois qu’elle était très intéressée par le sujet. Dans son cas, c’était quatre jours de tournage. Donc pourquoi pas ? Je l’avais rencontrée et j’ai pensé à elle tout de suite. Elle aimait le côté Psychose de la chose… Ce n’est pas tous les jours que l’on tue une star de cinéma. Et nous en tuons deux ! Elle est venue à Hong-Kong, nous nous sommes assis et elle m’a dit : «Alors, que peux-tu me dire de cette femme ?». Je lui ai répondu : «C’est une femme hyper-active, alcoolique qui, quand elle est saoule, trompe son mari.» Elle m’a répondu : «Tu n’as pas à m’en dire plus, je sais exactement comment je vais la jouer.»
Le plan le plus notable est celui de l’autopsie. Et une fois encore, elle était géniale. Il n’y avait pas moyen de truquer la scène. Elle devait s’allonger avec des lentilles de contact et la langue pendante jusqu’à ce qu’on ait tout tourné. Elle est restée quarante-cinq minutes sans bouger, et elle avait vraiment l’air morte ! Quand nous avons fait les projections-tests, à la question «quelle a été votre scène préférée ?», les spectateurs ont répondu : «L’autopsie».

En quoi le fait de travailler avec des caméras numériques a changé votre manière de réaliser ? J’ai l’impression que c’est aussi à cela qu’on doit le style plus réaliste de vos derniers films…
Je pense, oui. Elles sont si sensibles que quand je me trouve dans une pièce comme celle-ci, tout est là. Je pourrais compter sur les doigts d’une main les moments où j’ai utilisé dans Contagion de la lumière additionnelle. Ces caméras sont à leur meilleur dans des conditions de lumière naturelle. Cela a un effet psychologique sur le public. La manière traditionnelle d’éclairer dans les films crée une distance rassurante avec ce qui se passe sur l’écran. Le fait de pouvoir tourner jour et nuit, dans n’importe quelles circonstances, transmet une énergie. Nous tournons très vite, et quand nous utilisons plusieurs caméras, tous les plans sont utilisables. C’est réel, c’est vrai. C’est aussi ce que j’ai appris avec les caméras numériques : résister à l’envie d’enjoliver les choses. Il y a six ans, j’aurais corrigé l’image ; maintenant, si c’est laid, ce sera laid. J’ai cessé de modifier la réalité. Comme je suis mon propre chef-opérateur, je ne peux pas me virer moi-même. Il y a une séquence dans Haywire, mon prochain film, qui aurait valu à n’importe quel chef-opérateur de se faire renvoyer, et c’est parmi mes plans préférés. C’est une scène en voiture où la caméra est fixée sur la porte. Nous tournions en plein soleil, et les rayons qui frappaient l’objectif étaient incontrôlables. L’image disparaissait, puis réapparaissait. Quand je me suis rendu compte qu’il n’y avait aucun moyen d’arranger ça, j’ai décidé au contraire de l’intensifier. Plutôt que de le regarder comme une erreur, j’en ai fait un choix.

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