«L'innocence, l'extase, la poésie»

Dans une pièce retirée de l'URDLA, l'écrivain et artiste Onuma Nemon répond à nos questions pendant son vernissage auquel il ne participera pas directement, refusant d'apparaître en public. Ni bouderie, ni snobisme, depuis le début O.N., comme on le surnomme, s'efface derrière son œuvre... Propos recueillis par Jean-Emmanuel Denave

La Cosmologie

Depuis la fin des années 1960, j'ai entrepris l'écriture d'une Cosmologie, sans plan a priori mais en progressant par prolifération, à la manière d'un Faulkner qui, de roman en roman, a créé un conté imaginaire. Dès l'adolescence, j'avais une idée un peu mystique et très idéaliste de l’œuvre à venir, avec une division du monde en cinq continents imaginaires. Plus tard, j'ai écrit des voix plutôt que des personnages à proprement parler. L'aspect sonore est très important pour moi. Au fur et à mesure, ces « personnages » se modifient comme dans la mythologie (je fais beaucoup d'emprunts aux mythologies, grecque ou autre). Ce ne sont pas des formes fixes, mais ils répondent davantage à l'idée antique du récit où le héros se définit essentiellement par ses actes. L'aspect physique de mon écriture provient aussi de ma pratique des arts martiaux (le karaté) et de la place central accordée au corps.

Onuma Nemon ?

En grec et en latin, je dis deux fois que mon nom est «personne». Je pense sincèrement qu'il y a deux choses séparées : l'écriture et l'auteur. La notion d'auteur ne m'intéresse pas. Je suis du côté de l'inscription, de l'écrit. Au départ, comme pour la baleine Moby Dick, j'envisageais un mouvement d'apparition et de disparition : donner la Cosmologie à quelques personnes, puis disparaître, comme dans un geste Zen. Jusqu’en 1984, mon travail fut totalement secret. Puis, il a perduré, j'ai été dépassé par cette œuvre... J'écris un peu comme au Moyen-Âge où l'on n'était pas l'auteur d'un texte. Et, concrètement, mes textes sont aussi et surtout le résultat du travail du rêve, de l'inconscient... M'effacer comme auteur va à l'inverse d'une tendance générale qui serait de tout signer (comme ces artistes qui vont jusqu'à signer l'objet le plus insignifiant). Je suis celui qui inscrit même si tout est très travaillé et que mes modèles restent classiques comme Rudyard Kipling ou Katherine Mansfield.

Les Quartiers de ON

C'est une traversée de la Cosmologie éditée sous forme de fragments, avec un CD contenant plusieurs voix et qui constitue une possible méthode de lecture pour passer d'une voix à une autre. Aujourd'hui, dans le domaine de l'image, nous somme habitués à changer rapidement d'univers narratifs. Ce n'est pas encore le cas dans le domaine du texte et c'est ce que je propose dans mon travail... La voix est fascinante et liée chez moi à des souvenirs d'enfance où, en m'endormant, j'entendais des voix, des bruits qui se mêlaient à l'approche des rêves...

«États du monde»

Cette parution à venir est une condensation de l'ensemble de la cosmologie qui permettra de suivre toutes mes tribus et personnages que je préfère appeler des «figures». Il n'y a pas de continuité linéaire dans mes écrits, mais des fragments successifs, des apparitions, des moments poétiques. J'évite de délayer et je m'arrête avant que le texte ne «prenne» telle une mayonnaise. C'est une suite d'illuminations poétiques. Ou pour prendre une métaphore : mes fragments sont comme du bois flotté qui, épars sur l'eau, constituent néanmoins un tout, un ensemble épique. Il y a là aussi un aspect baroque proche de la littérature d'Amérique du Sud.
À partir de 30 000 pages existantes, je réalise maintenant un travail d'élimination impitoyable, avec en parallèle la publication de volumes un peu à part, et la publication de textes sur mon site Internet... Ceci dit, je tiens à la forme livre, j'ai travaillé dans la reliure, je suis graveur de formation.

L'exposition à l'URDLA

C'est ma troisième exposition d’œuvres liées à la Cosmologie après Quimper et Mirmande. Les œuvres plastiques à la fois ont une existence propre et s'insèrent dans le corpus d'écriture. Elles viennent étoiler mon propos, comme les idéogrammes chez Ezra Pound... Dans cette exposition, la géographie est importante de même que l'idée de déplacement, comme si mes personnages étaient engagés dans une quête perpétuelle.... L'érotisme est évoqué aussi et constitue un continent de ma Cosmologie, mais il n'est pas l'essentiel. Ce qui est important dans la Cosmologie, c'est l'innocence, l'extase, la découverte poétique... C'est une collection de moments privilégiés.

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