Carlos Saldanha : « Si l'on trouve l'émotion juste, on oublie que ce sont des animaux à l'écran »

Ferdinand
De Carlos Saldanha (EU) avec John Cena, Kate McKinnon...

Ferdinand / Le sympathique créateur de Rio adapte pour la Fox un classique de la littérature enfantine ayant déjà inspiré les studios Disney… nouveaux patrons de la Fox. Un film familial qui reste dans la famille, en somme.

Qu’est-ce qui vous convaincu de signer cette nouvelle adaptation animée de l’histoire de Ferdinand le taureau ? Votre lecture du livre ?
Carlos Saldanha
: Au Brésil, le livre de 1936 était moins connu qu’aux États-Unis. La première fois que j’ai entendu parler de l’histoire de Ferdinand, c’est à travers le court-métrage de 1938. Je l’ai vu à la télévision, sur les chaînes pour enfants. Quand je suis arrivé aux États-Unis, mes enfants ont lu cette histoire à l’école. Leurs copains de classe l’avaient déjà lue avec leurs parents, lesquels l’avaient lues avec leurs propres parents quand ils étaient petits. Plusieurs générations connaissaient donc cette histoire. Alors, le jour où la Fox m’a dit avoir acquis les droits du livre et m’a demandé si en faire un film d’animation m’intéressait, j’ai été emballé par l’idée — en mesurant le défi immense d’adapter un classique.

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Comme c’était la première fois que j’adaptais un livre — mes films précédents (L’Âge de glace, Robots, Rio) étaient basés sur des idées originales — j’étais un peu sceptique. J’ai donc voulu rencontrer les descendants de Munro Leaf, l’auteur, pour savoir ce qu’ils attendaient de moi. « Tant que l’histoire et le message sont respectés, m’ont-ils dit, faites ce que vous voulez avec les personnages et avec l’univers, si vous voulez l’agrandir. » Ça m’a donné la liberté d’aller plus loin et de découvrir ce qu’était l’essence même du livre — petit par la taille mais grand par le message.

J’ai interrogé des amis sur ce qu’ils en avaient retenu : certains mettaient en avant la promotion du pacifisme, d’autres l’importance d’être soi-même. D’autres encore l’idée qu’il faut regarder non pas l’extérieur mais l’intérieur de chacun et ne pas se conformer à ce que les autres attendent de vous. Toutes ces options, parmi d’autres, m’intéressaient. Si je suis arrivé à les mettre en images, à travers tous les personnages, alors le film d’animation est intéressant.

Pourquoi avoir fait des chevaux ces personnages ridicules ?
Puisqu’on pouvait étendre l’univers du livre, je me suis demandé quels animaux pouvaient être des voisins plausibles de Ferdinand dans sa ferme. Les chevaux participant à la corrida avec les picadors, ils sont donc des adversaires des taureaux dans l’arène. Je me souvenais avoir vu des Lipizzan — une race d’origine autrichienne, qu’on trouve aussi en Andalousie — danser en étant flamboyants et élégants, et je leur ai donné un accent allemand parce que c’était amusant. Eux aussi sont très beaux de l’extérieur, mais vilains à l’intérieur.

Vos films mettent toujours en scène des personnages non humains. Vous serait-il impossible de raconter une histoire autrement ?
Je me suis demandé si c’était une coïncidence, mais en fait, il m’est plus facile d’avoir une connexion avec des animaux qu’avec des êtres humains. C’est l’essence même de l’animation : il y a une beauté dans le design, dans la conception des personnages, de ces mondes qui nous font voyager ailleurs. Et si l’on trouve l’émotion juste, on oublie que ce sont des animaux à l’écran ; ils deviennent des membres de votre famille ! Je connais d’ailleurs des gens qui m’ont dit : « je connais un Sid » ou « mon oncle c’est Manny ». En animation, la personnalité prend le pas sur l’aspect de l’animal.

D’un point de vue cinématographique, comment avez-vous créé la séquence de la corrida ?
Pour moi, c’était la plus importante et la plus difficile dans le processus créatif. Contrairement à mes précédents films, j’ai commencé par tourner le troisième acte de Ferdinand, puis le premier et le deuxième. Il me fallait capturer l’essence de l’histoire, définir ce qu’était Ferdinand et ce qu’il symbolisait. Autour de moi, on ne comprenait pas vraiment ce que je voulais montrer. Je devais expliquer en quoi cette séquence était aussi puissante. C’est la première en effet où l’on a les deux antagonistes que sont le taureau et le matador face à face. Elle est d’autant plus délicate car il s’agit d’une corrida ; or le sujet est clivant partout dans le monde — surtout en Espagne et en France. Pour l’imaginer, j’ai dû m’inspirer de corridas fameuses, j’ai lu les règles qui s’y appliquent, je suis allé dans des fermes d’élevage de taureaux de combat. Je suis allé à une corrida, j’ai assisté à la préparation des chevaux, des costumes, mais honnêtement, je ne suis pas resté : c’était impossible pour moi, car j’étais trop dans la peau de Ferdinand.

Le non-combat de Ferdinand est-il un combat à la façon des samouraïs ?
Je ne me suis pas inspiré des samouraïs, mais des images du livre : celle où l’on voit le taureau assis face au matador. Pour ceux qui l’ont lu à l’époque, elle était très puissante. C’est d’ailleurs probablement pour cela qu'il a été interdit en Espagne, en Italie et en Allemagne. À cette période d’oppression, personne ne pouvait se permettre de résister au pouvoir, il fallait absolument suivre les lois du système. S’asseoir, c’était refuser le conformisme, donc un geste de révolution. Il y a d’ailleurs un proverbe en portugais qui dit que dans un combat si l’un des deux adversaires refuse l’affrontement, le combat est annulé. En décidant d’être lui-même, Ferdinand désarme l’adversaire. La simplicité de ce geste fait la force du livre et du film. Et ces dix minutes sans dialogue ont été la plus puissante forme d’animation que j’ai pu imaginer sur ce film.

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