Théâtre / Dans un spectacle dérangeant et éblouissant, Alice Laloy renverse les codes du roman de Pinocchio et s'attache au moment de sa transformation. Un des grands spectacles du dernier Festival d'Avignon ; de surcroît accessible aux enfants.
C'est un cortège de mômes qui surgit. Joyeux, sautillants, ils s'amusent au son live de la musique d'un mini orchestre de percussions de foire sur roulettes. Fausse piste. Ils disparaissent et le silence se fait. Dix jeunes adultes, Gepetto impitoyables, prennent place dans cet espace bi-frontal et, minutieusement, en cadence, construisent leur établi. Déjà point l'effroi de la mécanisation des corps et de la déshumanisation induite par les rythmes infernaux des chaines de montage en usine.
Ce n'est qu'un début : les gosses enjoués sont installés sur chacun des engins et, de façon totalement synchronisée et silencieuse, vont être rendus à l'état de pantins. De formation scénographe, la metteuse en scène Alice Laloy a fait appel à sa sœur, chorégraphe, Cécile Laloy (proche de Maguy Marin et François Tanguy) pour ce travail saisissant sur les corps : comment ils se figent, comment ils se déploient, comment ils se décalquent les uns sur les autres.
Avec un travail très important sur le maquillage, les costumes tous identiques, dont il faut garder le secret pour que le trouble puissant advienne, la créatrice a voulu explorer « ce moment précis de la transformation, où on ne sait plus trop si on est face à un humain ou à une marionnette » disait-elle à Avignon l'été dernier où elle a créé cette version 2.
Bois peint
Car ce projet est un millefeuille esquissé lors d'une commande photographique en 2014 pour un magazine consacré aux arts de la marionnette. C'est devenu un spectacle en 2019, repris deux ans plus tard par une autre distribution : dix enfants danseurs issus du Centre chorégraphique de Strasbourg, deux adolescents régisseurs musiciens et dix performeurs adultes, élèves comédiens du Conservatoire de Colmar.
Ce travail de recherche débouche désormais sur un spectacle glaçant qui peut renvoyer au travail des enfants qui confectionnent nos vêtements à l'autre bout du globe ou encore à la façon dont, dans le monde occidental, les enfants sont modelés à l'image des adultes. Il émane de cette création une infinie ode à la liberté enfantine dans un final qui leur appartient intégralement.
Pinocchio (live)#2
Au TNP du mardi 12 au samedi 16 avril