Cédric Rassat : « l'indie rock et ses dérivés sont devenus les camps retranchés des fans de rock »

Rock'n'roll, année(s) zéro

Comédie Odéon

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Histoire du Rock / Journaliste rock (Section 26) et scénariste de BD ("La Malédiction du Titanic", "Erzebet", "Manson", "On dirait le Sud"...), le Lyonnais Cédric Rassat vient de publier le premier tome d'un projet pharaonique bourré d'entretiens inédits sur le rock indé américain des années 2000 et les grands disques qui les ont marquées : "Rock'n'roll, année(s) zéro". Un pavé de 602 pages à l'impressionnant casting (Howe Gelb, Elliott Smith, Kurt Vile, The Strokes, The Black Angels, David Pajo...), bientôt suivi d'un second, tous deux illustrés de sérigraphies signées Emre Orhun, Ludivine Stock, Raphaël Gauthey et Jean-Luc Navette, exposées jusqu'au 31 janvier à la Comédie Odéon. Entretien avec l'auteur qui revient sur ce projet un peu fou et la création de sa maison d'édition, Longues ondes, pour le rendre possible.

Qu’est-ce qui a présidé à l’écriture de ce livre ?
Le projet est né à la suite de mon départ du magazine Eldorado, en 2010. À ce stade, nous étions deux, puisque j’étais accompagné d’Alban Jamin, un ami journaliste, également enseignant en cinéma et musicien (Berceau des volontés sauvages, ex-Purple Lords). J’avais été le rédacteur en chef d’Eldorado depuis sa création, deux ans plus tôt. L’aventure s’était avérée passionnante et nous avait notamment permis de consacrer de longs papiers à des artistes qui étaient encore relativement sous-exposés en France : Reigning Sound, Jay Reatard, Archie Bronson Outfit, Phosphorescent, Bill Callahan, Josephine Foster, etc.

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La fin de cette histoire nous avait laissé un goût d’inachevé et il me semble que ce projet de livre est d’abord né d’une volonté de transformer cette déception en quelque chose de positif et de plus abouti que ce que nous avions pu réaliser pour Eldorado. Notre idée était de prendre le temps et la place de développer des portraits de groupes contemporains importants sur lesquels peu de choses avaient été écrites. C’était une façon de leur rendre hommage, d’en garder une trace, mais aussi de les inscrire dans l’Histoire.

C’était également un bon prétexte pour mieux étudier la magie de certains disques comme le Whatever, Mortal de Papa M ou A River Ain’t Too Much to Love de Smog. Il y avait l’idée de bâtir une sorte de récit choral qui raconte une certaine Amérique des années 2000 et qui, en même temps, pose la question de la modernité dans le rock. Ensuite, Alban s’est trouvé débordé par ses travaux de recherche en cinéma et a dû renoncer au projet. J’ai donc continué seul.

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Quelle histoire raconte-t-il ?
Le livre raconte surtout comment le rock américain s’est réinventé au cours des années 2000. Plus précisément, je dirais qu’il évoque un certain nombre de musiciens et de groupes, souvent issus des réseaux secondaires, qui ont su faire évoluer le genre et lui permettre de trouver sa place dans le XXIe siècle.

Ceci dit, je pense aussi qu’on peut le voir comme une histoire de l'indie rock (au sens large) américain récent. D’un autre côté, il me semble que l’exploration des racines musicales de tous ces enregistrements conduit notamment à reconstituer une sorte de vaste puzzle qui englobe non seulement l’histoire du rock dans son ensemble, mais aussi une bonne partie de celle de la musique populaire du XXe siècle. Ce sera, je pense, encore plus flagrant avec les chapitres du tome 2. En fait, ce projet est un peu comme une histoire du rock d’un nouveau genre, une histoire qui, donc, partirait du présent pour mieux éclairer le passé.

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Peux-tu expliquer brièvement l'importance de ce moment des années 2000 dans le rock américain qui nous amène à l'argument de vente du livre : « Pour ceux qui pensent que le rock est mort et ceux qui savent que ce n'est pas vrai » ?
Oui, disons que c’est lié à l’idée de la mort du rock qui était très en vogue à la fin des années 1990. Il y avait beaucoup d’articles sur le sujet à l’époque et je me souviens que certains grands noms de la critique cherchaient alors fébrilement la lumière dans des musiques nouvelles auxquelles ils ne comprenaient visiblement rien, juste parce qu’ils avaient l’impression d’avoir déjà tout entendu dans le rock.

Pour moi, ce bref mouvement de panique était non seulement lié à leur âge (la plupart tournaient autour de la cinquantaine et commençaient à sérieusement se lasser de suivre l’actualité), mais aussi à un étrange climat de fin de siècle qui flottait dans l’air. Il reste que cette idée de la mort du rock était aussi liée à une réalité sociologique et économique incontestable, puisque parallèlement à l’essor du hip-hop et des musiques électroniques, les ventes de disques de rock se sont effectivement effondrées dans la dernière ligne droite avant l’an 2000.

En gros, le Nevermind de Nirvana, dernier disque de rock à s’être vendu à plus de 20 millions d’exemplaires, était sorti en 1991. Dix ans plus tard, le Is This It des Strokes, album qui avait fait l’effet d’une petite bombe dans le milieu du rock, ne s’était vendu qu’à 2 millions. Entre les deux, en 2000, The Marshall Mathers LP d’Eminem était devenu le premier album de rap à passer la barre des 20 millions d’exemplaires.

Rock’n’roll, année(s) zéro raconte donc comment, bien que devenu largement minoritaire, le rock a continué à se réinventer artistiquement, mais aussi comment l’indie rock et ses dérivés sont finalement devenus les camps retranchés des fans de rock n’ayant pas baissé les bras. L’argument de vente du livre résume un peu cette idée : pour s’y intéresser, il faut soit penser que le rock est mort et être prêt à changer d’avis, soit savoir qu’il est bien vivant et se féliciter de le lire enfin.

Quel est ce « nouveau départ » induit par le titre très référentiel du livre ?
Le titre joue simplement sur la superposition de deux idées, celle des années 2000, qui sont venues après les années 1990, et celle de l’année zéro, moment du recommencement, du nouveau départ. Mais ce titre est aussi une allusion au passage à l’an 2000. En gros, pendant des années, l’an 2000 avait incarné le futur dans l’esprit de la plupart des gens. Son arrivée avait été fantasmée, attendue un peu fébrilement, et puis, un jour, le futur était devenu le présent et l’an 2000 notre quotidien. Je pense que, dans l’esprit de beaucoup de gens, il y a eu, à ce moment-là, une sorte de déclic. Le XXe siècle et son histoire étaient subitement devenus obsolètes et il fallait avancer vers de nouveaux horizons. L’une des idées du livre est de considérer que beaucoup de groupes se sont appuyés sur ce changement pour essayer autre chose, musicalement.

Je voulais commencer par Los Angeles

Comment est intervenue la sélection des artistes présents dans le livre ? Était-ce en quelque sorte une sélection naturelle, purement subjective ?
Oui, bien sûr. Je me suis focalisé sur ceux qui m’avaient le plus marqué depuis l’an 2000. Le but n’était évidemment pas d’être exhaustif, mais l’éventail est quand même assez large, d’Elliott Smith aux Baptist Generals, en passant par Jay Reatard et les Strokes. Et il le sera encore plus avec le tome 2. Et puis, si j’ai écrit tout cela, c’était pour mettre ces artistes en avant, mais aussi pour raconter ces histoires, toutes très singulières et qui, selon moi, valent pour ce qu’elles sont, qu’on aime ou pas les disques qui en ont découlé.

Les deux tomes de Rock’n’roll, année(s) zéro constituent également un voyage aller-retour à travers les États-Unis, d’Ouest en Est par le Sud, puis d’Est en Ouest par le Nord, une sorte de boucle. Comment t’est venue cette idée ?
Honnêtement, je ne sais plus. Mais elle m’avait parue d’emblée très adaptée au projet, car je crois que c’est vraiment la façon dont les Américains vivent et occupent leur territoire : ils sont Texans, Californiens ou New-Yorkais avant d’être Américains. Et puis, j’aime assez cette idée d’une cartographie, d’un cheminement à travers le pays. Pour ce tome 1, je savais que je voulais commencer par Los Angeles, car c’était là que se situait l’histoire du Figure 8 d’Elliott Smith et que cette interview, réalisée à l’époque pour Rock & Folk, était la plus ancienne. Ensuite, ce départ de Los Angeles me rappelait le renversement de la conquête de l’Ouest dans Easy Rider, donc je trouvais cela intéressant.

On sait que l'Histoire des États-Unis est en quelque sorte une géographie. En quoi est-ce également vrai pour la musique américaine ?
Le territoire est tellement vaste que les grandes villes ont toutes une histoire musicale très particulière. À Memphis, par exemple, il y a eu les débuts du rock’n’roll, avec Elvis et le studio Sun, mais aussi les grands studios de soul des années 60 (Stax, Royal, American Sound, etc), Big Star dans les années 70, les Oblivians et la scène garage-punk vingt ans plus tard, puis Jay Reatard et Reigning Sound dans les années 2000, etc.

À Louisville (Kentucky), il y a d’abord eu John Jacob Niles, l’une des légendes du folk originel, dans les années 30-40, puis, au début des années 90, le post-rock de Slint et la néo-country de Will Oldham. Chaque ville a son histoire ! Je pense aussi que cette idée d’un enracinement dans des villes précises permet de mieux comprendre la réalité et le fonctionnement de certaines scènes musicales. Par exemple, le fait que Jay Reatard, musicien de Memphis (Tennessee), soit proche d’un certain nombre de musiciens d’Atlanta (Géorgie) s’explique par la relative proximité géographique des deux villes. Même chose pour les musiciens californiens qui, souvent, restent sur la côte Ouest, etc.

Les chapitres du livre portent des titres de films emblématiques particulièrement bien choisis. C’est un clin d’œil, une résonance, avec ton autre passion, le cinéma ?
Oui, absolument. En fait, c’est venu comme un jeu. Je suis toujours très soucieux des titres, car, pour moi, on ne sait pas ce qu’on raconte si on ne sait pas le nommer. Le premier chapitre que j’ai terminé était celui sur Papa M et, pour moi, il était clair qu’il devait s’appeler M le Maudit. Ensuite, il y a eu L’Homme de l’Ouest pour Howe Gelb, En quatrième vitesse pour Reigning Sound, etc.

Je connaissais Jean-Luc Navette

Le livre n'est pas illustré de photos, mais d'illustrations originales réalisées par des illustrateurs avec lesquels tu as travaillé par le passé en BD. Pourquoi ?
Je tenais à ce que le livre ait une vraie identité et une forme de cohérence esthétique. Les photos, c’est bien, mais là les groupes venaient d’horizons tellement différents que je ne savais pas du tout sur quoi j’allais tomber. En plus, les coûts d’impression faisaient qu’on devait rester en noir et blanc. Bref, comme je connaissais d’excellents illustrateurs, j’ai préféré leur confier l’illustration des chapitres. Cela nous permettait également de vendre des affiches, mais aussi d’utiliser les images pour la promotion du livre. J’avais déjà travaillé avec Emre Orhun, Raphaël Gauthey et Ludivine Stock, et je connaissais Jean-Luc Navette depuis longtemps, puisque nous étions voisins dans le quartier de Saint-Georges. Tous ont réalisé un travail exceptionnel. Les images sont exposées jusqu’à la fin du mois au Théâtre Comédie Odéon.

Pour publier ce projet ambitieux tu as dû monter ta propre structure d'édition. Pourquoi et comment cela s’est-il fait ?
L’idée m’a été suggérée par Sylvie Simmons, qui signe l’une des deux préfaces. Selon elle, il était plus cohérent de présenter le projet ainsi, en indépendant, plutôt que via une maison d’édition déjà installée. D’autre part, je savais très précisément ce que je voulais et j’avais, de toute façon, investi trop de temps et d’énergie dans ce projet pour envisager de laisser une tierce personne m’imposer quoi que ce soit sur la forme qu’il devait prendre. Pour moi, le plus important était le livre, donc j’ai juste choisi d’aller au bout de mes idées.

Maintenant que cette maison d'édition existe, quels sont les futurs projets ?
Déjà, le tome 2, ce qui ne sera pas une mince affaire, et probablement une ou deux surprises dans les mois qui viennent. Ensuite, selon l’évolution des choses, j’envisage évidemment de sortir d’autres types de livres, et pas seulement les miens. En fait, la maison d’édition existe, donc autant essayer d’en faire quelque chose d’intéressant !

Cédric Rassat, Rock'n'roll, année(s) zéro, histoires d'Amérique 1. de Los Angeles à New York (Longues Ondes)
Disponible Au Bal des Ardents, à Livres en Pentes, à la Librairie Esperluette, à Sofa Records et à la Comédie Odéon

Exposition des sérigraphies du livre signées Erme Orhun, Ludivine Stock, Raphaël Gauthey et Jean-Luc Navette à la Comédie Odéon jusqu'au 31 janvier

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