Théâtre / Dans "Ma jeunesse exaltée", pièce fleuve (11 heures avec entractes) du metteur en scène et auteur Olivier Py créée lors du Festival d'Avignon 2022, Bertrand de Roffignac est un jeune Arlequin fascinant qui livre une performance époustouflante. Avant la reprise du spectacle au TNP, on a rencontré cet acteur incroyable qui, à l'image de son personnage, a littéralement le feu sacré du jeu en lui.
Tout est excessif dans Ma jeunesse exaltée. Le verbe d'Olivier Py, grand nom du théâtre français capable de produire des textes de centaines de pages dans lesquels il crie son amour du théâtre autant qu'il se célèbre et règle ses comptes – notamment avec le monde culturel, lui qui a quitté l'an passé la direction du prestigieux Festival d'Avignon. Le jeu de ses comédiens, qui se régalent de cette matière à jouer que leur offre l'auteur, entre envolées poétiques et séquences potaches. Et la vision du monde que propose Py, monde en déliquescence du fait de ses élites politiques, culturelles et économiques qu'un poète oublié a fuies. Mais ce poète a priori éteint se rallume et reprend le combat lorsqu'il succombe à un jeune Arlequin fougueux.
Arlequin, c'est Bertrand de Roffignac, comédien de 28 ans (bientôt 29) magnétique dans ce rôle physique auquel il donne corps et fluides – transpiration, salive, larmes... À lui seul, il fait passer au second plan les quelques faiblesses et longueurs de la pièce à la fois grandiloquente, drôle et puissante de Py tant la passion qu'il convoque sur scène emporte tout sur son passage. Il devient alors la pierre angulaire d'une aventure tourbillonnante et exaltante, véritable déclaration d'amour au théâtre.
« Quelque chose vient » est-il écrit en immense au-dessus du décor. Quelque chose est arrivé surtout : un grand acteur en feu, que l'on a interviewé un soir après une nouvelle journée de répétition – Ma jeunesse exaltée avait été mis en pause à la suite des dates avignonnaises de 2022 avant d'être repris en ce mois de novembre à Nanterre et Villeurbanne. Magnéto, afin de ne perdre aucune phrase du débit mitraillette du comédien.
La rencontre avec Olivier Py
« J'ai rencontré Olivier en 2017 en sortant du conservatoire lors d'un stage passionnant. Juste après ce stage, il m'a proposé de travailler avec lui sur certains projets, dont des remplacements pour des tournées internationales. Cette rencontre a été formidable pour un jeune interprète comme moi, surtout en connaissant la généalogie des acteurs d'Olivier qui sont toujours renversants, dans l'excès, pas du tout conformistes... On a le sentiment qu'ils participent à quelque chose qui les dépasse ; ils jouent plus que le rôle, plus que la pièce... Ils jouent leur vie, et j'aime beaucoup cette idée ! »
La pièce
« Après Hamlet à l'impératif [feuilleton théâtral créé en 2021 au Festival d'Avignon dans lequel il jouait – NDLR], Olivier m'a prévenu qu'il allait écrire une pièce qui se donnerait en 2022 pour la fin de son mandat de directeur du Festival d'Avignon. C'est clairement une pièce legs, qui boucle une boucle, mais c'est aussi une pièce qui donne des possibilités d'action à la jeunesse, avec cette idée de passage d'une génération à une autre et d'espérance en ce qui vient. En l'écrivant, Olivier a mis beaucoup de lui dans le personnage d'Arlequin, et également beaucoup de moi. »
Le rôle d'Arlequin
« C'est un cadeau à plusieurs niveaux : c'est un marqueur historique pour moi, dans ma vie de comédien, mais aussi, je pense, pour le théâtre en général – même si ça, l'avenir nous le dira ! Ça a été aussi l'occasion d'aller encore plus loin dans ma recherche d'un théâtre radicalement physique où le verbe de l'auteur et le corps de l'acteur sont convoqués au plateau avec une densité équivalente. Et puis c'est tout simplement un luxe de recevoir un tel rôle écrit sur mesure. Un rôle comme celui-ci, ça n'arrive sans doute qu'une fois dans une vie, et pas à tous les acteurs. Pendant Avignon, je me disais : après ce rôle, je peux mourir, j'aurai accompli quelque chose. Il faut d'ailleurs que ma génération continue de croire elle aussi en ce genre de rôle impossible, pour faire émerger autant des acteurs que des auteurs. Car quand cette relation à deux fonctionne, c'est quelque chose de fabuleux qui fait apparaitre le plus beau et le plus dangereux des théâtres. »
La performance
« Nous avons eu 55 jours de répétition entre avril et juillet 2022. Pendant cette période, je n'étais plus qu'à ça mentalement, physiquement... Cette création a mis mon corps à très rude épreuve, ça a été une abnégation totale. Il m'a fallu être très rigoureux sur énormément de choses parce que c'est comme du sport de haut niveau : tu es attentif à la moindre baisse de régime, à la moindre blessure physique, ton corps a tout le temps mal, il faut apprendre à gérer cette douleur, tu ne peux plus te permettre les incartades qui font le sel de la vie... [le soir de l'interview, deux jours avant la reprise à Nanterre, il a commandé une tisane dans le bar où on l'a rejoint – NDLR] Et il y a un autre aspect dans la performance, c'est la redescente – un peu comme avec la drogue, oui ! Une redescente à gérer chaque soir pour chaque lendemain ; également pendant les entractes où le corps se refroidit... Puis enfin pour la suite : que faire tout simplement après une telle aventure ? »
Ma jeunesse exaltée
Au TNP samedi 25 novembre et dimanche 26 novembre de 11h à 22h
Bertrand de Roffignac : biographie
3 décembre 1994 : naissance à Paris.
2010 : devient bénévole, adolescent, dans les coulisses de la Cartoucherie (Paris) du mythique Théâtre du Soleil d'Ariane Mnouchkine, au moment de la création du spectacle Les Naufragés du Fol Espoir.
2013-2016 : études au Conservatoire national supérieur d'art dramatique (Paris).
2017 : rencontre avec Olivier Py, qui le fait travailler ensuite sur plusieurs projets.
2018 : premier spectacle officiel de sa compagnie Le Théâtre de la Suspension qu'il a fondée en sortant du conservatoire. « Notre ligne directrice consiste à la création de poèmes vivants qui s'écriraient tout à la fois par le verbe et un engagement visuel et technique permanent. » Il continue de développer ses spectacles qu'il essaie de tourner.
2022 : rôle principal dans Ma jeunesse exaltée d'Olivier Py, spectacle créé au Festival d'Avignon. Le spectacle est repris en novembre 2023 à Nanterre et Villeurbanne.
2023 : prix de la révélation théâtrale de l'année du Syndicat de la critique.
Février 2024 : sortie prévue du film Le Molière imaginaire d'Olivier Py, dans lequel il interprète le comédien Michel Baron – Laurent Lafitte est Molière et Stacy Martin Armande Béjart, la femme de Molière. Il cosigne le scénario avec Olivier Py.