Pretty woman / Conte de fées 2.0, moral et désenchanté, Anora acte la nouvelle montée en puissance d'un réalisateur qui entre définitivement dans la cour des grands, révélant au passage une actrice étourdissante, Mikey Madison. Une superbe Palme d'or !
Dans un passé proche, Sean Baker nous apparaissait comme le grand cinéaste américain encore trop minoré par ses pairs. Après la reconnaissance suprême de la Palme d'or décernée en mai dernier, ces considérations n'ont plus lieu d'être. Son huitième long-métrage nous replonge en 2018, dans le quotidien d'Ani, une jeune stripteaseuse new-yorkaise. Sa rencontre avec Ivan, fils d'un oligarque russe semble ouvrir la voie à la possibilité de vivre un conte de fée moderne...
All the things he said
Fidèle à sa cinéphilie éclectique et à son goût des mélanges de genres, Sean Baker s'essaie avec Anora à un exercice de relecture naturaliste des codes de la comédie romantique. Un prince charmant richissime, une belle roturière propulsée dans les hautes sphères et le kitsch de Las Vegas comme royaume enchanté. Un conte pop et coloré que le cinéaste ne regarde jamais de haut, partageant sans ironie le regard émerveillé d'Ani, pour mieux le remettre en perspective dans un second temps. Loin du faste clinquant des oligarques, l'héroïne investit à son corps défendant une pure comédie noire, aux accents de polar urbain, quelque part entre After Hours et le cinéma des frères Coen. Un tout autre référentiel que le réalisateur aborde frontalement, renouant avec une imagerie 70's à laquelle il rend hommage tout en évitant de sombrer dans le fétichisme nostalgique. Entourée d'une bande de pieds nickelés mafieux, la jeune femme découvre l'envers du décor de son mirage de princesse à mesure que Baker lève le voile, sur les dérives d'un capitalisme triomphant et mondialisé.
Portrait d'une jeune fille en feu
Formellement et narrativement plus ample que ses prédécesseurs, Anora ne déroge pas aux principes d'empathie chers à son auteur. Il reste centré sur sa protagoniste, une sex worker qui n'a pas encore renoncé à ses rêves malgré des conditions de vie modestes. L'implication totale de son interprète (y compris à l'écriture), Mikey Madison, vue dans Once upon a time in Hollywood et le cinquième Scream, n'est pas étrangère à la réussite du film. Telle une irrésistible tornade, le talent de l'actrice, solaire, charismatique, sensuelle et touchante, explose à chaque plan, sublimé par la caméra du cinéaste. À travers son parcours, ce sont les clichés (parfois réactionnaires) de la "romcom" classique qui volent en éclats. L'objet de désir en apparence candide se mue sous l'œil de Sean Baker en héroïne intransigeante et exigeante. À mesure que le récit se déploie, elle ébranle les préjugés tout en déconstruisant les regards, que ce soit celui du réalisateur, des hommes qui l'entourent (magnifique scène finale), mais aussi du spectateur. Un rollercoaster filmique imparable, toujours accessible, extrêmement séduisant et profondément émouvant.
Anora
De Sean Baker (USA, 2h19) avec Mikey Madison, Mark Eydelshteyn, Yuriy Borisov...
En salles le 30 octobre 2024