This is England / Un conte adolescent oscillant entre naturalisme et onirisme. Une nouvelle réussite qui conforte la position de son autrice, celle d'une styliste hors pair et possiblement la plus grande cinéaste en activité.
Après une brève excursion états-unienne le temps d'American Honey et une parenthèse documentaire sur Cow, Andrea Arnold retourne au bercail et à la fiction. Elle observe la relation entre Bailey — une adolescente de douze ans qui vit avec son frère et son père dans un squat — et Bird, un mystérieux inconnu.
Crossroads
Grande portraitiste d'une Angleterre des laissés-pour-compte (en témoigne Fish Tank), la réalisatrice s'intéresse ici à la classe défavorisée du Kent. Une région en déshérence qu'elle ne regarde jamais de haut, scrutant des individualités dont elle épouse les regards. Son héroïne filme avec son téléphone des instants de vie qu'elle projette ensuite sur les murs de sa chambre (saisissant mélange de formats d'images qui s'entrechoquent à l'écran). La captation du réel est autant une arme politique qui s'ignore, qu'une échappatoire vitale à un quotidien fait de misère et d'ennui, engendrant une violence irrépressible. Le groupe de jeunes justiciers que Bailey suit dans leurs descentes vengeresses répond à l'abandon de pouvoirs publics absents et à la démission de parents à peine sortis de la puberté (le formidable Barry Keoghan en père pathétique). Dans ces conditions, difficile de transitionner pleinement vers le monde des adultes. C'est donc dans des interstices, dans un entre-deux constant, que le long-métrage s'inscrit : paysage à la fois citadin et rural, protagoniste androgyne, cinéma exigeant et pourtant accessible, à l'image de l'utilisation de tubes pop (Coldplay) sans la moindre condescendance.
L'instinct animal
Ce récit initiatique, entre évolution et émancipation contrariée, Andrea Arnold l'inscrit dans son contexte naturel. Les plantes, les bêtes (éléments discrets mais essentiels de sa filmographie, en atteste son documentaire Cow) se mettent au diapason des tourments de l'adolescente. Le personnage de Bird, dont l'arrivée est accompagnée par une bourrasque (comme s'il était déposé par le vent), est campé par un Franz Rogowski à l'interprétation presque animale. L'acteur allemand, une fois de plus fascinant, apporte au film une touche quasi fantastique, une donnée nouvelle dans l'œuvre de son autrice. Énigmatique et ambigu, lui aussi au croisement des genres (il apparaît vêtu d'une jupe), il sert de guide en même temps que de révélateur. De cette famille dysfonctionnelle et toxique par aspects, la réalisatrice choisit de ne conserver que l'humanité profonde qu'elle saisit au travers d'éléments en apparence insignifiants, à l'instar de cette émouvante conclusion. En cela, elle s'écarte de ses films précédents à la tonalité plus amère. La force des grands cinéastes réside aussi dans cette manière de se réinventer sans en donner l'air, de créer la rupture dans l'apparente continuité.
Bird
D'Andrea Arnold (France, Grande-Bretagne, USA, Allemagne, 1h58) avec Barry Keoghan, Franz Rogowski, Nykiya Adams...
En salle le 1ᵉʳ janvier 2025