Entretien / Vingt ans après la sortie de son chef-d'œuvre, Matt Elliott redonne vie à "Drinking songs" live 20 years on" en version trio. Nous l'avons rencontré à quelques jours de son concert lyonnais.
Pourquoi rendre hommage vingt ans plus tard à Drinking songs ?
Matt Elliott : Dans mes concerts, je joue toujours quelques morceaux de ce disque, qui est de loin le plus connu – et je crois le plus apprécié – de ma discographie. Je pense notamment à The Kursk, une chanson qui ne manque jamais pendant mes concerts et que je propose toujours avec grand plaisir. Un jour, Stéphane Grégoire (fondateur du label Ici, d'ailleurs, ndlr) a eu l'idée de me proposer de rejouer tout l'album, mais dans une autre configuration, non plus en solo, mais avec d'autres musiciens. Et l'idée m'a plu.
Le disque a été enregistré à la salle de l'Autre Canal à Nancy, dans une version très proche du live. Pourquoi choisir cette formation en trio ?
J'ai souvent tourné avec beaucoup de musiciens dans ma vie et à plusieurs reprises, j'ai joué en duo ou en trio. Certes, c'est toujours plus compliqué quand on rajoute d'autres personnes, mais je suis persuadé que cela apporte une dimension assez fascinante. Pour ce disque, on avait à disposition cinq jours et, après les deux premiers passés à répéter, on a consacré les suivants à l'enregistrement. Cette configuration avec Anne-Elisabeth de Cologne à la contrebasse et Barbara Dang au piano répondait à une nécessité naturelle, qui suivait l'évolution des compositions : il était temps de leur donner cette forme là. Sur scène, je suis seulement accompagné par "Babette" et je trouve que cette configuration se prête assez bien à la traduction live du disque.
Depuis quelques années, vous vous mesurez avec un instrument qui fait désormais partie intégrante de vos enregistrements : le saxophone.
L'histoire est assez drôle, car, à l'origine ce n'était pas mon premier choix. À la fin de 2019, après une très longue et intense tournée, je rêvais tout simplement de rester chez moi et de reposer un peu. J'ai dû exprimer ce souhait à voix haute, car l'univers m'a écouté et le covid est arrivé. C'était l'occasion idéale pour apprendre à jouer d'un nouvel instrument et étant donné que j'ai toujours été fasciné par le violoncelle – grâce notamment à mon ami Gaspar Claus – je voulais en acheter un. Mais je suis quelqu'un qui laisse les portes ouvertes au hasard et au destin et en cherchant dans la catégorie "Instrument" sur Leboncoin, je suis tombé sur une clarinette. Je l'ai achetée et j'ai commencé à la jouer... mais quelque temps après, j'ai ressenti le besoin d'un instrument plus expressif et l'écoute intense du jazz, notamment d'Alvin Tyler, m'a poussé vers l'achat d'un saxophone.
Aujourd'hui ce fruit du hasard est omniprésent sur vos disques et sur scène.
...Et chez moi aussi ! Je passe beaucoup de temps à répéter dans mon appartement, au point que même mes voisins se réjouissent des progrès effectués ! J'ai la chance d'avoir des voisins très patients et de temps à autre je me sens en devoir de les remercier avec une bonne bouteille de vin...
Il est vrai que quand on pense au saxophone, notre esprit va immédiatement à ces horribles sons qui ont traversé les années 80. Et je suis sûr d'avoir perdu du public à cause de l'intégration de cet instrument dans mes morceaux, mais aujourd'hui je suis persuadé que le saxophone est le complément parfait qui manquait à certaines compositions.
Votre discographie témoigne d'une mélancolie profonde ainsi que d'un véritable pouvoir cathartique.
Je suis content que ma musique puisse participer à l'amélioration de l'état émotionnel des gens. Cela est peut-être dû au fait que nous avons vécu les mêmes émotions et que leur traduction en musique permet à ceux et celles qui écoutent de les revivre sans cesse. La musique possède cet avantage : on choisit de démarrer un morceau et on plonge dedans, autant de fois qu'on le souhaite. À l'issue de cette expérience, on se sent parfois purifié. Je suis extrêmement reconnaissant envers toutes ces personnes qui viennent me voir à la fin du concert pour me témoigner d'avoir vécu ce type d'introspection, certes très mélancolique, mais qui leur a été bénéfique.
J'ai produit de très longues compositions, c'est vrai. C'est une forme que j'apprécie beaucoup et qui me permet de développer mes émotions. Dans la musique, l'étude, la structure du morceau ainsi que la maitrise parfaite de la technique ont leur place. Mais entre l'intellect, la technique et l'émotion, le choix est simple : je choisis toujours l'émotion.
En 2025, verra-t-on la parution d'un nouveau disque ?
Je suis déjà à un tiers du travail, mais je veux prendre mon temps, notamment car dernièrement j'ai tourné beaucoup de pages dans ma vie personnelle et il faut laisser décanter les émotions. Je peux déjà dire que sur le prochain disque on sera juste Babette et moi. Il ne sera pas forcément un disque (entièrement) triste, il y aura de la place aussi pour d'autres émotions. Je pense qu'il se positionnera entre Drinking songs et Failing songs et ce sera un travail traversé par la politique, par les tragédies auxquelles nous sommes en train d'assister et devant lesquelles personne ne semble vraiment prendre position ou agir pour les arrêter. Mais je vais aussi parler de l'espoir et de la jeunesse, du besoin de s'indigner et de conjurer les injustices à travers un nouveau regard collectif.
Matt Elliott + Raoul Vignal ‘Release party'
Samedi 25 janvier à 20h30 au Marché Gare (Lyon 2e) ; de 14 à 18€