Essai / Pourquoi les hommes vont aussi peu chez le psy ? Maud Le Rest enquête sur ce non-dit sociétal et spoiler : virilité et santé mentale ne font pas bon ménage.
« Je pense qu'il y a beaucoup de mecs dans le déni. J'espère qu'il y aura une sorte de libération, un mouvement où on se dira : “Les mecs, on a le droit de ne pas aller bien”. J'espère que la question de la santé mentale des hommes va vraiment surgir parce que, pour l'instant, c'est très compliqué d'être faible en tant que mec ». Ce sont les mots d'Étienne, recueillis par Maud Le Rest dans le cadre de son enquête qui rassemble de nombreux témoignages d'hommes sur le sujet de la santé mentale. Elle s'y intéresse dans le cadre du couple hétérosexuel, dressant un constat peu reluisant de ses relations et de celles de son entourage. Journaliste spécialisée dans les questions de santé et des violences sexistes et sexuelles, Maud Le Rest a déjà coécrit avec Eva Tapiero l'enquête Les Patientes d'Hippocrate, quand la médecine maltraite les femmes.
« Je ne suis pas fou », « de toute façon, personne ne me comprendrait », ou « je n'ai pas le temps d'aller mal », ou encore le merveilleux « c'est ma femme qui dit que je suis chiant » : les clichés et les résistances ont la peau dure. Dans tous les cas, la psychothérapie et la psychanalyse restent perçus comme "un truc de bonne femme". Et en effet, les chiffres parlent : sur 8 millions de consultations en psychothérapie sur l'année 2022, 78 % ont été prises par des femmes, selon une étude de l'institut Odoxa réalisée pour Doctolib. L'autrice analyse « Serions-nous toutes folles à lier, et les hommes seraient-ils tous le pilier du couple, la solidité mentale qui le fait tenir ? Spoiler : non. Permettez-moi une hypothèse : si les femmes consultent autant, c'est en grande partie parce que les hommes le font très peu. »
Comportements à risques
« La dépression masculine apparaît souvent masquée sous forme de changements de comportements. Elle s'exprimerait sous forme d'irritabilité, liée à des comportements agressifs, notamment envers les proches, et une propension plus grande à s'auto-médicamenter entre autres par une consommation abusive d'alcool, de drogues, de pornographie ou par le jeu compulsif », explique la docteure en psychologie Monique Renard-Kuong.
Mais pourquoi ? Parmi les causes, l'éducation et la socialisation différenciée jouent évidemment un grand rôle : « On éduque les garçons à se débrouiller tous seuls. C'est aussi pour ça que les hommes meurent davantage de suicide : le jour où ils demandent de l'aide, c'est déjà trop tard. Ils ont déjà écumé un certain nombre de stratégies, mais seuls. Au bout d'un moment, ils n'en peuvent plus. » explique Monique Renard-Kuong.
L'autrice aborde aussi l'amitié masculine, et surtout, paradoxalement, la solitude. « Entre mecs, on peut passer des heures, voire la journée entière, à “chiller” sans aborder aucun sujet en profondeur, constate Sikou, interrogé dans l'ouvrage. Eric abonde : « Les épreuves que je peux traverser, je sens qu'on ne va pas en discuter. Il n'y aura personne pour me dire : “Mais ça va ?” Ce sera plutôt un accord tacite du style : “Tu gères de ton côté, c'est bien.” », tandis que Bryan confie « Je vois bien qu'il y a des sujets que j'ai peur d'aborder. Si je commence à parler de trucs vraiment intimes, c'est comme si j'étais en train d'avouer que je pissais au lit ». Messieurs, que ce soit à vos amis ou à un psy : il faut parler !
Tu devrais voir quelqu'un de Maud Le Rest (éditions Anne Carrière) ; 18 €
Rencontre avec Maud Le Rest le 26 mars à 19h15 à la Librairie à soi.e (Lyon 1er) ; gratuit sur réservation