Jazz et fusion / Du 26 juin au 13 juillet, Jazz à Vienne s'offrira un programme sans ligne claire — et c'est tant mieux. Loin d'un jazz balisé, cette 44ᵉ édition assumera les tangentes, les greffes improbables, les allers-retours hasardeux qui font de cette musique non pas un style, mais une méthode, celle du décentrement.
À Vienne, personne ne vient chercher une définition du jazz. Et pour cause, il est employé ici comme un mot qui ne fixe rien, mais dont on continue de se réclamer parce qu'il autorise tout. C'est peut-être là son pouvoir : être devenu ce que les autres musiques ne sont pas — un espace à habiter, plutôt qu'un genre à respecter.
Déborder plutôt qu'hériter
C'est l'un des paradoxes du festival : s'ancrer dans la tradition sans jamais s'y enfermer, garants d'une tradition ouverte, portée par le souffle et le jeu. C'est dans cet esprit que l'habitué de l'événement, Avishai Cohen, ramènera sa contrebasse tellurique, tandis que Seun Kuti prolongera le souffle révolutionnaire de son père Fela, cuivres et danse en tête.
On retrouvera aussi Dhafer Youssef et Rabih Abou-Khalil, oudiste mystique pour l'un, alchimiste des cordes pour l'autre, qui dessineront des paysages méditatifs à la croisée du maqâm et de l'improvisation. Kamasi Washington, lui, incarnera la grandiloquence d'un jazz post-Coltrane boosté aux arrangements. La même soirée, Ishkero, quintet français en plein essor, défendra une fusion sophistiquée de l'énergie du rock à l'élégance du groove. On continuera l'exploration de la scène internationale avec Ben Harper & The Innocent Criminals qui feront ressusciter la puissance de Jimi Hendrix et Bob Marley.
Au rayon vocal, Dianne Reeves incarnera une filiation directe avec d'abord Célia Kameni qui s'aventurera sur des territoires plus hybrides, entre textures électroniques et chant habité. À ses côtés, Madeleine Peyroux réactivera la tradition folk-blues avec un sens de l'épure.
Jazz polyglotte, musiques créoles
Ce qui frappe, c'est la fluidité avec laquelle Jazz à Vienne brouille les lignes grâce à une génération qui n'a jamais vu de contradiction à poser un beat sur un standard du jazz ou à faire dialoguer ce même jazz avec de la trap, de la disco ou du zouk. On glissera ainsi de la soul néo-classique de Michael Kiwanuka au lyrisme saturé de Donny McCaslin, en passant par le funk d'orfèvre de Meshell Ndegeocello.
GoldLink injectera dans le rap américain les syncopes de la house et de la go-go music, pendant que Dabeull et Galliano convoqueront un rétrofuturisme dansant, entre boîtes à rythme et nappes analogiques. Parov Stelar et son electro-swing, continuera quant à lui à faire danser les foules en avec du jazz des années 30 sur des beats d'aujourd'hui.
La nouveauté et la création comme tradition parallèle
Parmi les créations marquantes, on retiendra le soir d'ouverture avec Anne Paceo qui présentera Atlantis avec le Conservatoire de Lyon où les voix, les percussions et les textures électroniques dessineront un monde immergé. De son côté, Jeanne Michard, saxophoniste et compositrice, signera L'envol cuivré des oiseaux. Présentée devant 8 000 élèves puis ouverte au public, cette fresque brass band entremêlera second line, funk et hip-hop, sur fond de scénographie participative imaginée par les enfants.
Et parce qu'un festival n'existe pas sans ses marges, Jazz à Vienne investira une nouvelle fois les espaces hors-champ bordés de concerts gratuits au Jardin de Cybèle, sets intimes au Théâtre Ponsard, bals, disquaires et brunchs musicaux. Une myriade d'occasions de croiser du jazz sans le chercher.
Cette année, le festival s'étend encore, avec une nouvelle scène à l'angle de la rue des Clercs et de la rue de la Table-ronde. Les élèves des conservatoires y défileront chaque fin d'après-midi. En marge, toujours, les bars de Vienne prendront le relais pour accueillir concerts et improvisations spontanées.
Et parce qu'on héritera aussi de la capacité à ne pas se prendre au sérieux, la journée marathon du 29 juin proposera, entre un lever de soleil au piano et une randonnée musicale, un tournoi de Mario Kart... au musée Saint-Pierre, et en musique s'il vous plaît !
Le même musée accueillera par ailleurs une exposition en trois volets consacrée au vinyle : une histoire des femmes dans le jazz à travers 180 pochettes issues de la collection Jean-Paul Boutellier ; un panorama des couvertures iconiques collectées par Guillaume Le Tallec ; et enfin un salon d'écoute réunissant dix collectionneurs.
Jazz à Vienne
Du 26 juin au 11 juillet 2025 à Vienne (Isère), de 6 à 65 € la soirée