Festivals / De nombreux festivals n'ont pas rempilé pour l'été 2025, certains en pause, d'autres complètement arrêtés, laissant présager une raréfaction des événements de ce genre dans la région.
Il fallait s'en douter, l'année 2024 n'avait pas été bonne pour les festivals en règle générale. 48% de ceux analysés par la Banque des territoires ont dressé des bilans déficitaires. Cela, alors que la moitié d'entre eux avaient atteint un taux de remplissage supérieur à 90%. En tout, ce sont 27% seulement des festivals analysés qui ont réalisé un bénéfice. De son côté, le Syndicat des musiques actuelles (SMA) a précisé que la moitié de ses festivals adhérents avait affiché un déficit moyen de 75 000 €. La situation va de mal en pis, et, évidemment, pour reprendre la rhétorique martiale de certains hommes politiques ; de nouveaux événements sont tombés au combat. Entre ceux qui prennent (au moins) une année de pause (le Horse field festival, le festival Oh Plateau !, le Madcow festival, le festival Loupoulo, le Big band festival, le JazzFest' Chiroubles...), ceux qui n'ont tout simplement pas donné de nouvelles pour 2025 (le festival Cocotte, les Estivales de Saint-Galmier, le Mondor festival...) et ceux qui ont mis la clé sous la porte (le Crussol festival, le Vercors music festival) : l'heure est au comptage des survivants, qui sont, pour un certain nombre, déjà bien amochés. Le Petit Bulletin avait déjà évoqué la procédure de sauvegarde du Woodstower, festival culte de l'été lyonnais, qui n'est pas le seul au bord du précipice. « On ne sait pas si on sera toujours là l'année prochaine », témoigne Fabien Givernaud, directeur artistique de l'association Mix'Arts (employant onze équivalents temps plein) organisatrice de deux festivals, notamment le Festival Bien l'bourgeon qui a accueilli entre 7 000 et 8 000 personnes à Gresse-en-Vercors, en Isère, à la fin du mois de mai.
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Liberté de programmation en question
« On est le dernier "gros" événement de musiques actuelles en Isère, après la fin du Vercors music festival. Pourtant, on est seulement subventionnés à hauteur de 5%, en encore, ça vient de baisser » : En programmant Médine (rappeur ouvertement propalestinien et régulièrement accusé d'antisémitisme par des élus de droite et d'extrême droite) le département dont le conseil est présidé par Jean-Pierre Barbier (LR) a supprimé l'entièreté de la subvention du festival, à hauteur de 4 000 €. « Déjà que ce n'était pas énorme... On n'en est pas revenu. On a appelé tous les élus qui ont voté en faveur de cette motion, notamment ceux PS et écologistes, pour essayer de comprendre. Pourquoi fragiliser encore plus un festival dans un contexte aussi difficile ? C'était encore plus terrifiant de découvrir que la première moitié d'entre eux n'avait jamais écouté les propos ou la musique de Médine. La deuxième tenait ouvertement des propos islamophobes ». Le programmateur ne cache pas son abattement : « On est une victime collatérale de futures alliances électorales. Est-ce qu'il y a encore des personnes qui considèrent la culture comme un bien nécessaire, comme participant à des logiques de service public avant de participer à des logiques politiques ? » Fabien Givernaud rappelle l'importance des subsides publics pour un festival de cette envergure. C'est par voie de communiqué que le Syndicat des musiques actuelles a déploré « une remise en cause des libertés de création et de programmation artistiques » et insisté pour la mise en œuvre du plan d'action annoncé par la ministre de la Culture Rachida Dati en 2024, visant au renforcement des droits face à la multiplication des cas d'atteintes à la liberté de programmation. En attendant, l'association Mix'Arts multiplie les activités annexes, dans l'espoir de trouver l'équilibre économique : « buvette, booking, et même prêt de toilettes sèches ! Je ne sais pas si ça suffira, je ne sais pas s'il restera beaucoup de festivals de notre taille dans 4 ou 5 ans », conclut Fabien Givernaud.
Du bricolage et du bénévolat
Pour les plus petits festivals (autour de 1000 personnes sur un week-end), les enjeux sont différents. Le Festival Île aux oiseaux (à Pont-de-Vaux, dans l'Ain) est organisé par une vingtaine de bénévoles, amis d'enfance et tous issus de la région. Permis par une multitude de petits et de grands coups de mains, d'huile de coude et de bonne volonté, l'événement ne rencontre pas de problèmes de trésorerie. « Hormis l'artistique, les seules personnes que nous payons sont les techniciens son », détaille Théo Duby, qui s'occupe – entre autres – de la programmation du festival. Mais alors, pourquoi n'y a-t-il pas d'édition 2025 du festival ? « On a choisi de "biennaliser" le week-end », reprend Théo Duby : « C'était très éprouvant, peut-être même un peu trop. À un moment, on y passait tout notre temps libre, on avait mis la barre un peu trop haute. »

La diversité culturelle mise à mal
Interrogé en 2023 par Le Petit Bulletin, le directeur de recherche au CNRS et responsable du Centre d'études politiques et sociales de l'université de Montpellier et co-auteur de Festivals, territoire et société aux éditions Les Presses de Sciences po, Emmanuel Négrier avait déjà envisagé cette tendance : « Nous pourrions observer la disparition d'un certain nombre de festivals. Les plus gros d'entre eux ont réussi à tirer leur épingle du jeu, car ils ont des audiences tellement énormes qu'ils amortissent un peu mieux les cachets et la hausse des coûts. Les plus petits ne s'en sortent pas trop mal non plus car ils fonctionnent avec des économies de bricolage locales, du bénévolat, et n'ont pas les moyens de participer à la course à la tête d'affiche. Ce sont les festivals de moyenne importance qui sont le plus en difficulté, ce sont aussi ceux qui dépendent le plus de subventions publiques. »
Emmanuel Négrier avait évoqué quelques conséquences de cette potentielle désertification : notamment l'appauvrissement à la fois économique et artistique des territoires et l'éloignement des publics d'une offre culturelle accessible. Il avait aussi exprimé une autre crainte, plus politique : « Je m'inquiète au sujet du maintien de la capacité des pouvoirs publics à défendre des projets qui ne sont pas à but lucratif. C'est la diversité de l'offre culturelle et événementielle, son ouverture à tous les publics qui est mise à mal. Le développement d'une vision darwinienne sur le sujet (au fond, la mort d'un festival signifie qu'il n'était pas bon et sera remplacé par un meilleur) me semble particulièrement préoccupante. »