Le temps de l'innocence

New generation

Théâtre antique de Vienne

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Croisement rêvé entre Melody Gardot et Björk, la Coréenne francophile Youn Sun Nah signe un nouvel album (d)étonnant, tout entier à la gloire de son énergie vocale, de son raffinement et d'un jazz libéré de toute contrainte, quoique habité et nourri de doutes. Christine Sanchez

Dans sa langue maternelle, son prénom la dit innocente. Et c'est bel et bien sans malice que Youn Sun Nah a conquis, en à peine dix ans, l'ensemble de la planète jazz. À 43 ans, elle est aujourd'hui unanimement considérée par ses pairs, la critique et le public, comme l'une des plus grandes voix européennes. Preuve que l'on peut devenir une star, tout en brillant humainement, sincèrement et en toute simplicité.

«Quand je pense à tout ce qui m'est arrivé... J'ai eu beaucoup de chance. Le succès, je l'envisage avant tout comme une possibilité de faire davantage de concerts et de voyager partout dans le monde. J'ai commencé à chanter par hasard. Aujourd'hui, je travaille et je fais de mon mieux pour pouvoir faire ce que j'aime le plus longtemps possible. Comme tout s'est passé très vite, j'ai toujours peur que tout s'arrête de la même façon».

Itinéraire d'une enfant gâtée

Née en Corée, Youn Sun Nah grandit dans un environnement musical, entre un père chef de chœur et une mère cantatrice et actrice de comédies musicales. Admirative voire complexée par le talent de ses parents, c'est seule et à l'abri de leurs regards qu'elle s'amuse à chanter. Ce qui explique qu'elle ait étudié la littérature et travaillé dans la mode avant de basculer dans la chanson, quasiment par inadvertance. «Il y avait toujours de la musique à la maison. Mes parents étaient des musiciens extraordinaires. Toute petite déjà, je chantais. Au lycée, à l'université, avec les copains, mais jamais devant mes parents. C'est seulement quand j'ai participé à un concours de chanson française en Corée en 1993, qu'ils m'ont vue chanter pour la première fois».

Un concours qu'elle remporte. Avec leur assentiment et sur les conseils d'un ami, elle décide alors d'intégrer une école de jazz, et s'envole pour Paris en 1995. Très vite, au CIM (Centre d'information musicale), elle impressionne ses professeurs qui décèlent ses capacités exceptionnelles mais doivent composer avec son cruel manque de confiance en elle. «Il me fallait tout apprendre. Je ne parlais pas très bien français et je ne connaissais rien au jazz. J'étais comme une éponge, tout ce que j'absorbais était intéressant. J'ai découvert les standards d'Ella Fitzgerald, Billie Holiday ou Sarah Vaughn. Au bout d'un an, j'ai pensé que ma voix n'était pas faite pour le jazz et j'ai voulu tout arrêter». Avant de découvrir Norma Winstone. Une révélation. «Cela m'a permis de comprendre que le jazz n'est pas qu'un genre, mais qu'il est à l'origine de tout. Le jazz, c'est la liberté avant tout».

L'éloge de la liberté

Cette liberté, la chanteuse en fait dès lors sa force, portée par cette voix étincelante qui irradie littéralement son auditoire et dont elle ne cesse de s'amuser. «Au début, je n'osais pas trop y aller avec ma voix. J'avais un peu peur mais mes musiciens m'ont souvent poussée. De manière générale, j'essaie de l'utiliser comme un instrument. Et comme je suis sans cesse sur scène, je la teste tous les soirs». Entourée sur disque comme sur scène de son fidèle guitariste Ulf Wakenius, ancien compagnon de route d'Oscar Peterson, du contrebassiste Lars Danielsson, du batteur percussionniste Xavier Desandre Navarre et de l'accordéoniste Vincent Peirani, elle signe une musique affranchie de toute contrainte. Et glorifie la prise de risque en enregistrant en one-shot, dans les conditions du live. «On travaille de cette manière depuis Voyage [album paru en 2009, NdlR]. J'ai confiance en les musiciens avec qui je travaille. La première prise est celle où l'on a le moins d'informations sur la manière dont les autres vont jouer. C'est donc le moment où l'on est vraiment concentré, où l'on écoute vraiment le groupe. Notre musique n'est pas fabriquée. Elle a des défauts, mais c'est aussi ce qui fait sa force».

Trois ans après Same Girl (Act, 2010) sacré ici disque d'or, son nouvel opus creuse à nouveau le sillon de cet univers singulier, repoussant à l'infini ces limites avec lesquelles elle aime tellement flirter. Hybride et extrêmement composite, Lento oscille sans cesse entre délicatesse et explosivité, rires et larmes, mélancolie et folie. Belle ballade sobre et efficace inspirée par un prélude de Scriabine, le morceau titre s'inscrit dans la lignée de ses deux précédents albums et de ses compositions inspirées, à la fois physiques et éthérées. Entre une reprise bouleversante du Hurt de Nine Inch Nails et celle plus enjouée du standard Ghost Riders in the Sky, toutes deux immortalisées en son temps par Johnny Cash, elle adopte un ton résolument culotté avec le bien-nommé Momento Magico, pendant joyeux et déluré d'un album littéralement magique, qui témoigne de l'étendue du talent de cette chanteuse aux facultés vocales hors-norme.

Avishai Cohen Quartet + Youn Sun Nah Quartet + José James
Au Théâtre antique de Vienne, vendredi 12 juillet

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