Interview / Le collectif L'Entourloop, porté par les infatigables Sir Johnny et King James revient le 10 juin, avec un 3e album, La Clarté dans la Confusion. A quelques jours de la sortie, entretien avec des (vieux) sages.
Une tournée avec des dizaines de dates, dont certaines à l'étranger, et un nouvel album en même temps... C'est quoi votre secret pour garder la forme, vous vous bourrez de vitamine C, ou vous vous faîtes changer le sang en Suisse ?
AHA !! Effectivement, nous avons beaucoup d'actualités en ce moment entre la tournée, les singles, les clips et le nouvel album qui sort le 10 Juin. C'est peut-être ça d'ailleurs ce qui nous tient en forme, le fait d'être toujours actifs avec plein de projets en tête. Il faut dire aussi que nous sortons d'une longue pause qui nous a permis de beaucoup produire.
1964, année de sortie de My Boy Lollipop, « premier tube ska ». Apparemment, ce titre vous a marqués... C'est pour le titre en lui-même, ou pour son retentissement ?
Un peu les deux ! On adore le titre, et on aime encore plus son histoire. Il s'agit tout de même du morceau d'une jeune femme qui était méconnue, Millie Small, et qui a, grâce à ça, changé l'histoire de la musique jamaïcaine ! Le succès assez dingue de My Boy Lollipop a marqué l'île à jamais, puisque grâce à lui, la Jamaïque a été reconnue comme un endroit du monde qui compte, en matière de musique. Ce son Ska est même devenu numéro 1 des charts, devant les grands noms du moment comme les Beatles ! Millie Small a ouvert la voie à toute une culture, elle a fait danser toutes les générations et marqué le début des Sound system, ce qui ne peut pas nous laisser insensibles. On aime tellement ce morceau qu'un membre du crew a toute une ribambelle de versions du titre en 45 T.
Il y a pas mal de spéculations autour de votre âge à tous les deux... On sait que vous roulez en 2CV, mais que vous maîtrisez les Internet à la perfection, que vous portez des costards venus d'un autre temps, mais que vous pouvez rester des heures debout à vous agiter devant vos platines, que vos références ciné datent un peu, mais que vos références musicales, elles, sont souvent un peu plus récentes... Une petite piste, pour nous rapprocher de la vérité ?
« Age is just a number » ! Ce serait réduire notre projet que de ne parler que de nous, James et Johnny : nous sommes les ainés du collectif qui est composé de beatmakers, diggers, collectionneurs de disques, arrangeurs, photographe, cinéphiles, graphiste, couturière, manager.... Ils sont L'Entourloop ! Nous ne nous mettons pas de limite et, tous ensemble, nous mélangeons nos inspirations, idées, références et envies. Cela fait certainement de nous un groupe atypique.
«Age is just a number»
On a toujours joué entre le Old School et New School, le hip hop et le reggae, le live et le studio... L'esprit collectif est une vraie force pour nous, grâce à la richesse de cette équipe qui le compose. Et c'est aussi un peu notre marque de fabrique, ceux qui nous suivent depuis les débuts le savent.
Elle a passé le dernier contrôle technique la 2CV d'ailleurs ?
Elle est restée pas mal au garage ses derniers temps mais on la bichonne toujours ! Depuis peu, on retape aussi de vieilles bécanes quand on a du temps.
On sait que votre premier job, dans vos créations, c'est avant tout un travail de chercheur et d'encyclopédiste : vous fouillez pour dénicher du son, et ensuite, vous cherchez quoi en faire. Comment ça s'articule, exactement ?
On digg un peu tout le temps que ce soit en solo, à la maison... Mais le processus de création n'est pas figé. Par contre, on conserve presque tout, pour avoir un large choix de références à notre disposition. Le collectif permet à chacun d'apporter ses idées, trouvailles, samples, boucles pour ensuite produire ensemble. Parfois, on continue nos recherches à plusieurs, mais le processus reste le même : on fait évoluer nos productions en mettant nos idées en commun, et en bossant souvent différentes versions, jusqu'à trouver celle qui nous plaît à tous. C'est beaucoup de travail et de réflexions de la part de toute l'équipe.
La recherche se passe sur le net, ou dans les bacs ?
Nous sommes passionnés de vinyles et on passe beaucoup de temps à chiner des pièces. La façon de découvrir des pépites n'est pas du tout la même sur le Net que chez un disquaire, ou via quelqu'un qui te ferait écouter un titre sur une platine. La sensibilité est bien différente, c'est peut-être une question d'amour du son et du support. Internet reste un outil très pratique que nous utilisons aussi, évidement, mais nous ne trouvons pas tout dessus !
Comment vous construisez vos collab avec MC et musiciens ? Il leur arrive de choisir, ou est-ce que c'est toujours vous qui leur dîtes : « fais-nous qqch avec ce son » ?
Très souvent, il s'agit d'artistes que l'on affectionne depuis longtemps et dont on apprécie l'univers. Certains sont des légendes pour nous, et d'autres de vrais coups de cœur. On essaie avant tout de se faire plaisir et de proposer un véritable échange artistique.
Généralement, on propose aux artistes une prod sur laquelle on les imagine bien, mais on en rajoute une ou deux pour qu'ils aient le choix. On aborde ensemble le thème, en restant à l'écoute de leurs feelings. Cela reste toujours très collaboratif.
Le prochain album promet 31 collaborations : c'est assez dingue ! Est-ce que ça veut dire qu'en 2022, les MC se bousculent pour collaborer avec l'Entourloop, ou est-ce que vous toquez beaucoup aux portes en croisant les doigts pour qu'on vous dise « ok on le fait » ?
31, Oui ! On avait envie de proposer un album riche et généreux, avec florilège d'invités pour apporter un mélange de styles unique. Toutes nos collaborations sont de réels choix bien réfléchis ! Cela nous tenait à cœur de travailler avec certains artistes. Certaines collab ont aussi été l'aboutissement en musique de fortes rencontres que l'on avait faites. Le passé du groupe aide quant à lui à nouer ou renouer les contacts.
Certaines collab ont aussi été l'aboutissement en musique de fortes rencontres que l'on avait faites
Cet album fera voyager de Kingston à Londres en passant par New York et bien d'autres destinations. Et pour le sens dans lequel les choses se passent... Nous sommes en effet souvent sollicités mais ici, l'objectif était de rester fidèle à l'écriture de l'album, pour conserver l'esprit et la cohérence de notre proposition. Le résultat nous rend fiers, ce fut un vrai investissement de tous les instants.
Comment et où est ce que vous avez enregistré tout ça ? Tout s'est fait au même endroit, ou vous avez dû bouger pour choper tout le monde, ou bien les sons ont voyagé par internet ?
La plupart des recording voix se sont faits à distance, la situation n'aidant pas... même si par bonheur on a pu en accueillir quelques un(e)s à Sainté dans notre Bandulu Studio et à Studio Mag.
Vous utilisez beaucoup de samples dans vos mix. Ce n'est pas trop casse-tête, au niveau des droits ?
On aime et vient de cette culture du sampling ! Cette méthode influence beaucoup notre travail, malgré le fait qu'on soit contraints de s'adapter et de souvent composer sans. Quand tu parles de mix, si tu fais référence au live, tu es libre de jouer ce que tu veux. Parfois d'ailleurs, ce sont des sortes d'hommages qui sont édités et donc réadaptés. Concernant la partie studio et la réalisation d'un album, nous utilisons maintenant beaucoup plus de samples libres de droits. Nous en clearons certains, et même si nous sommes toujours influencés par certains échantillons de boucles, nous avons fait le choix de nous entourer de musiciens/arrangeurs pour avoir une plus grande liberté de création.
L'Entourloop, c'est « jamais sans ma platine », mais vous cartonnez grâce à internet. On a souvent tendance à opposer les 2 supports, avec la crainte que le 2e tue le premier définitivement. Comment vous envisagez la continuité entre les deux, quelle est la recette pour qu'ils se complètent sans se marcher dessus ?
Si c'est l'image que l'on dégage, c'est plutôt flatteur, d'être un peu vu comme des ambassadeurs de la platine vinyle.
De notre côté, on prend, il est vrai, un grand plaisir à sortir tous nos projets sur galette, et c'est agréable de voir que les gens répondent présents. C'est bien la preuve que la cohabitation peut se faire sans souci, puisque que nous distribuons aussi notre musique sur toutes les plateformes. Il n'y a pas forcément de « compétition » entre les deux. Il ne faut pas trop se prendre la tête, ça reste de la musique que l'on consomme quand on veut et comme on le peut !
« Il n'y a pas de compétition entre galette et digital : l'un sert l'autre »
Cela dit, si le vinyle est encore bien présent de nos jours, c'est bien qu'il y a avec lui quelque chose de particulier. Pour nous, mixer avec reste unique, en termes de grain et de sensation. Nous sommes avant tout des Djs, donc à nos yeux, ce support est intemporel, et peut donc continuer à vivre malgré l'existence du digital. En fait, c'est un peu comme si l'un servait l'autre. Souvent des tracks sortent d'abord en digital et finissent, au vu du succès qu'elles peuvent avoir, par être pressées en 45. Et vice versa, le fait d'encoder au format digital des pépites vinyles 7' introuvables sur le net permet la découverte de pas mal de trésors.
On trouvera 20 morceaux dans votre nouvel album, soit deux de plus que dans Le Savoir-Faire. C'est un format assez long pour un album aujourd'hui... Pourquoi ce parti-pris, du coup ?
Pourquoi rentrer dans les codes et faire comme tout le monde ? On a la chance d'être écouté et soutenu par un public de plus en plus large. Cela nous donne la liberté de ne pas forcément créer en fonction des tendances, et de justement défendre un vrai projet. On est content de proposer un album fourni, notre dernier LP date de 2017, il était important malgré les différentes sorties de projets d'EP, remix, mix, de revenir avec un projet riche, car réfléchi et cohérent. C'est ce qui nous plaît le plus et ce qui, on l'espère, plaira à nos auditeurs car c'est aussi eux L'Entourloop !
Cet album est vraiment un pur album de Sound system, dans lequel reggae, dancehall et hip hop fusionnent totalement. Est-ce que vous l'avez taillé pour le live, ou est-ce que c'est une manière pour vous de revendiquer fort des racines communes à ces trois styles musicaux ?
Encore une fois un peu les deux ! Cet album La Clarté dans la Confusion a été pensé avec cette dualité entre le Hip Hop et le Reggae, et on peut effectivement parler aussi du Dancehall, du dub et bien d'autres styles apparentés. Ces courants musicaux ont évidemment des racines communes, que nous avons toujours mises en avant grâce à la culture du Sound system. Tous les morceaux ne sont pas forcément taillés pour le live, on a tenté de faire un album très « Banger », tout en gardant en tête la possibilité d'en jouer certains en live.
Et le live, du coup ? Il ne pourra pas y avoir 31 personnes avec vous sur scène, comment ça va se gérer, quelle formule vous avez choisie ?
Malheureusement non, nous n'aurons pas la chance de pouvoir inviter tous les artistes ayant participé à « La Clarté dans la confusion », même si on se le garde en tête, il ne faut pas s'arrêter de rêver !
Cette année, lorsqu'on a repris la tournée, on voulait proposer un vrai spectacle où se mêlent différentes disciplines telles que le djing, vjing, mcing.... Nous n'accueillerons donc pas nos 31 invités, mais notre fidèle équipe composée de 3 fronts mans : Troy Berkley au micro, N'Zeng à la trompette, rejoints cette année par BlabberMouf, un autre Killer au microphone. Nous réadaptons beaucoup de morceaux issus de l'album spécialement pour le live. On a concocté un nouveau show avec plein de nouveautés et on a quelques fois des invités avec nous, mais c'est un peu la surprise, il faut être là au bon moment !
On en vient un peu à l'image. Votre musique est souvent dite « cinématographique ». Ça vient des samples de répliques de films, mais aussi de vos clips. Vous êtes à la manœuvre, là-dessus, ou vos vidéastes ont carte blanche ?
Depuis nos débuts, nous aimons maitriser le maximum de choses autour de notre projet, et notamment l'image et les clips. Nos vidéastes et graphistes Befour et Royx font partie intégrante du collectif, ce qui nous donne de nombreuses possibilités pour diriger et/ou réaliser la plupart de nos vidéos. Il nous arrive parfois de faire appel à des réalisateurs extérieurs que nous choisissons tous ensemble, pour leur soumettre nos idées de scenario. On vous invite d'ailleurs à aller voir notre clip «Madzilla» qui a été tourné dans les studios Aunna à Saint-Etienne, avec l'aide de Mat Santa Cruz. Quoi qu'il en soit, nous sommes toujours impliqués en ce qui concerne notre image.
A l'heure où on se parle, le grand public a découvert 3 titres de votre nouvel album, dont le clip « Florilège », complètement fou. On se demande où vous êtes allés pêcher ça (l'idée, comme les images)... Vous nous en dites un peu plus ?
On voulait réunir 3 Mc's qui défoncent, tout simplement. C'est un peu la suite de notre « Tour de force » sur l'album Le Savoir Faire. Le clip est réalisé par Befour, l'idée vient de lui, après beaucoup de recherches d'images et d'échanges entre nous tous. Nous voulions reprendre un peu l'idée de certains de nos clips déjà sortis, pour garder une certaine identité, tout en partageant un titre très dansant, festif avec des images rares, qui peuvent correspondre à l'intensité de la musique.
« La Clarté dans la confusion », réplique de L'Aventure c'est l'Aventure. C'est pas anodin, d'avoir nommé votre album comme ça : L'Aventure c'est l'Aventure, c'était une manière pour Lelouch d'ironiser une époque post soixante-huitarde à la fois bordélique et assez hypocrite... Alors, votre album, c'est une manière d'ironiser aussi notre époque et son hypocrisie ? Une manière de dépasser les grands discours, juste en faisant danser les gens les uns avec les autres ?
Oui, c'est un peu ça ! On a voulu faire un album qui fasse plaisir aux gens, et qui les réunisse, loin effectivement des grands discours ! Mais nous ne sommes pas moralisateurs, nous aimons l'ironie. Nous voulions aussi que les gens puissent envisager ce titre comme bon leur semble, avec toutes les références sons ou cinématographiques que cela peut faire resurgir.
En fait, ce titre peut évoquer tellement de choses... C'est ce qui nous plait, de même que l'idée de faire écho à la situation à laquelle nous sommes confrontés. C'est aussi le symbole de notre vision collective : souvent c'est après de longues heures de discussions confuses et de débats, que surgit une idée !
Vous mélangez les styles, les collaborations, les sons, vous faites danser les gens ensemble. Plus généralement, est-ce que vous êtes animés par une certaine forme d'idéologie, une quête d'universel ?
On est animé par beaucoup de choses effectivement, et le fait de faire de la musique est déjà symbolique avec cette notion de partage, d'échange et de diversité. Oui, il y a une forme de message plutôt positif et encourageant, on l'espère ! A travers notre projet, on s'accroche à ne pas défendre des individualités, mais plutôt une entité collective. Donc oui, on peut dire qu'on est dans cette quête d'universel, ce qui ne nous empêche pas de continuer à faire de la musique en toute légèreté. C'est d'ailleurs elle qui parle avant tout !