Fabrice Pannekoucke : « Je suis un opposant aux logiques de rupture »

Jeudi 6 février 2025

Région Auvergne-Rhône-Alpes / Successeur de Laurent Wauquiez à la tête de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, Fabrice Pannekoucke défend les arbitrages de son premier budget et présente sa vision du développement économique et de l'aménagement du territoire.

Photo : Ancien maire de Moûtiers (Savoie), Fabrice Pannekoucke est toujours président de la communauté de communes Cœur de Tarentaise. © Erich Zann

Comment qualifiez-vous le budget 2025 de la Région Aura, votre premier en tant que président, que le conseil régional a adopté le 20 décembre dernier ?

F.P. Ce budget 2025 est courageux, prudent et ambitieux. Nous avons toujours la volonté très forte de faire des économies et d'agir au service de notre territoire. Pour élaborer ce budget, nous sommes repartis des hypothèses du gouvernement Barnier, qui représentaient 83 millions d'euros de recettes en moins pour la Région, et nous avons porté notre effort budgétaire à 170 millions d'euros. Pour autant, nous serons en capacité de porter notre investissement à 1, 7 milliard d'euros en 2025, contre 1, 4 milliard d'euros en 2024 et seulement 750 millions d'euros en 2016, quand nous sommes arrivés à la Région. C'est dans les moments difficiles, quand il y a peu de visibilité et que l'économie est peu reluisante, qu'il faut investir pour apporter de la stabilité et un cap clair.

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Quelle a été votre méthode pour identifier 170 millions d'euros d'économies, par rapport à d'autres Régions, comme celle des Pays de la Loire, où l'effort de 83 millions d'euros, portant principalement sur la culture, l'agriculture et les ressources humaines, a provoqué une très vive opposition ?

F.P. Je ne suis pas dans la même logique. Plutôt que d'identifier quelques lignes d'économies, j'ai donné la consigne à mon équipe de voir chaque ligne de dépense comme une ligne d'économie potentielle. Sur la culture, par exemple, nous n'avons jamais réduit le budget depuis 2016. Par contre, nous assumons d'avoir fait des choix dans les projets que nous accompagnons, pour que la culture irrigue tout le territoire, en étant un peu moins polarisée sur les métropoles. En 2025, la Région va soutenir, par exemple, un projet d'opéra itinérant qui va parcourir les zones peu denses. J'aime beaucoup cette symbolique.

Quelles sont vos priorités, à travers ce budget ?

F.P. Il y a d'abord l'économie et l'emploi. Car c'est le soutien à l'économie qui permet de créer de la richesse sur nos territoires. En matière d'emploi, la Région a une compétence fondamentale de formation, dans les lycées, les centres d'apprentissage, mais aussi pour reconnaître le travail en valorisant la notion de mérite. Ensuite, le deuxième marqueur budgétaire est celui de l'accès aux soins. Ce n'est pas une compétence qui s'impose à nous, mais il nous semble essentiel de participer au déploiement des maisons de santé sur tout le territoire, d'accompagner l'investissement dans l'hospitalier et de soutenir l'inclusion des personnes en situation de handicap. Enfin, le sujet de la sécurité est au cœur de nos préoccupations. Nous avons en particulier la volonté de sécuriser les transports ferroviaires et les abords de nos lycées, qui peuvent être des lieux d'extrême violence, comme l'actualité le démontre régulièrement, avec des rixes ou même des tirs de mortiers ! Mais nous voulons aussi soutenir les collectivités qui font l'effort de déployer de la vidéoprotection dans l'espace public.

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Dans la première tranche du volet mobilité du contrat de plan État-Région (CPER), seulement 322 millions d'euros sont fléchés sur les projets de services express régionaux métropolitains (Serm), alors que pas moins de six projets sont à l'étude en Aura. Est-ce une enveloppe suffisante ?

F.P. Auvergne-Rhône-Alpes est effectivement la région qui s'illustre le plus grâce à six projets de Serm sur les 24 territoires labellisés. Avec près de 6 millions d'habitants potentiellement concernés, l'attente est immense. Le conseil régional a déjà délibéré sur quatre de ces projets et les deux restants, ceux de Chambéry et d'Annecy, seront étudiés dans les prochains mois. Évidemment, chaque projet est différent et ne doit pas être appréhendé de la même manière. Cette somme du CPER sera consacrée aux études de préfiguration, car l'investissement pour ces projets se chiffre en milliards d'euros ! Est-ce qu'ils pourront tous être menés en même temps et avec le même degré de priorité ? À l'évidence, non. Est-ce qu'il y a des financements suffisants ? Non plus. Comme toutes les collectivités concernées par ces projets, nous attendons la conférence des financeurs, qui a été reportée en raison de la dissolution de l'Assemblée nationale, pour pouvoir y voir plus clair.

En matière d'aménagement du territoire, pourquoi refusez-vous toujours de créer une conférence régionale sur l'objectif ZAN et comment intégrer la réduction de consommation foncière sans normes contraignantes ?

F.P. Comme la moitié des communes d'Auvergne-Rhône-Alpes qui ont pris un engagement écrit à ce sujet, nous pensons que l'objectif ZAN est binaire, définitif et absolu. C'est une mauvaise loi et elle n'est pas entendable sur notre territoire. L'aménagement du territoire n'est pas quelque chose de figé. Comment pouvons-nous imaginer créer des dynamiques d'emplois et de création de richesses en mettant le foncier sous cloche ? Il faut pouvoir continuer de recevoir des acteurs économiques dans leur diversité, y compris ceux de grande ampleur, si nous voulons rester une région de relocalisation industrielle. Mais je n'oublie pas que j'étais, il y a encore quelques mois, le vice-président de la Région en charge de l'agriculture, qui nécessite, elle aussi, du foncier. Le monde agricole n'est d'ailleurs pas favorable non plus à cette loi, car tout le monde a bien compris que régler les curseurs depuis Paris va freiner la dynamique des territoires. Je crois que nous sommes suffisamment grands, avec nos outils d'urbanisme - Sraddet, SCoT et PLU - pour être capables de fixer nos objectifs et de ne pas « tartiner » des aménagements partout. Le Sénat et le gouvernement Barnier l'avaient bien compris. La loi Trace repose davantage sur des trajectoires que sur des dates couperet. J'attends du gouvernement Bayrou qu'il poursuive dans cette direction.

Avec plusieurs activités industrielles notables sur le territoire (hydrogène, microélectronique, chimie, décolletage ou nucléaire), comment la Région peut-elle contribuer à retrouver de la souveraineté industrielle ?

F.P. Pour chacune de ces filières, la Région peut participer à constituer des écosystèmes cohérents en soutenant l'implantation d'activités sur le territoire, la mise en œuvre des processus industriels et la recherche et l'innovation. Pour l'hydrogène décarboné, par exemple, nous avons fait le choix de nous engager fortement dans des programmes d'accélération dès 2017. Résultat : 80 % des acteurs de cet écosystème sont désormais dans la région, dont certains acteurs majeurs comme le développeur de stations hydrogène Atawey, le fabricant de piles à combustible Symbio ou GCK Mobility pour le rétrofit des véhicules.

Sur l'économie touristique, comment la Région contribue-t-elle à diversifier l'activité des stations de montagne face au changement climatique ?

F.P. Nous n'avons pas changé de braquet dans notre soutien aux stations de montagne, qui représentent 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires et la moitié de l'économie touristique régionale. Nous les accompagnons pour le déploiement de la neige de culture et nous sommes aussi à leurs côtés pour soutenir la diversification et la transition tout en douceur, car sur ce sujet comme sur d'autres, je suis un opposant aux logiques de rupture.

L'instabilité gouvernementale a aussi retardé des échéances de préparation des Jeux olympiques et paralympiques de 2030 dans les Alpes, en plus d'une opposition toujours présente. L'organisation est-elle encore dans les clous ?

F.P. Je ne suis pas inquiet. Nous avons aussi sur ce territoire un héritage et une capacité d'organisation de grands événements sportifs. L'engagement de la France a été signé. Le président du comité d'organisation sera nommé début février. Il faut parfois savoir perdre du temps pour en gagner ensuite !

Quelle place pour Grenoble et l'Isère dans les JO 2030 ?
Grenoble et l'Isère restent les grands oubliés des Jeux olympiques et paralympiques d'hiver 2030 dans les Alpes françaises. Sur la carte prévisionnelle, les épreuves olympiques sont réparties entre la Savoie, la Haute-Savoie, les Hautes-Alpes et les Alpes-Maritimes, et seuls les sites du patinage de vitesse et de la cérémonie d'ouverture n'ont pas encore été attribués. De quoi mobiliser des élus isérois, qui tentent de faire revenir le département sur la carte. Christophe Ferrari, le président de Grenoble Alpes Métropole a d'ailleurs écrit à Fabrice Pannekoucke au début du mois afin de « réaffirmer la disponibilité de la Métropole pour accueillir plusieurs compétitions de patinage ainsi que la cérémonie d'ouverture de cet événement ». Ce dernier lui répond : « L'organisation comporte un critère de sobriété aussi bien financière qu'environnementale. C'est la raison pour laquelle il a été fait le choix de répartir les épreuves en clusters et de limiter le nombre de sites : Nice pour les épreuves de glace, Courchevel et Méribel pour le ski alpin, etc. Il n'est bien sûr pas envisageable de modifier la carte des sites qui a été validée par le CIO. S'agissant de la cérémonie d'ouverture, c'est un sujet toujours en cours d'étude qui fera l'objet d'un arbitrage du futur Cojop, en concertation avec les territoires concernés. Ces Jeux sont ceux de l'ensemble de nos territoires de montagne et même au-delà ! Ce sont les Jeux des Alpes françaises et nous aurons à cœur d'associer chaque habitant de notre Région à ce merveilleux évènement, qui est un défi mais également une chance : celle d'imaginer et de bâtir la montagne de demain. »

Propos recueillis par Victor Guilbert, Benjamin Lecouturier et Mickaël Frottier