Mardi 1 mars 2022 Parmi les premiers longs-métrages présentés lors du dernier festival de Sarlat figure celui de Constance Meyer, "Robuste", qui met face à face un Depardieu presque autobiographique et une Déborah Lukumuena peu impressionnée. Deux acteurs colossaux...
Politique de la potiche
Par François Cau
Publié Jeudi 4 novembre 2010

Cinéma / Pour son déjà douzième long-métrage, l’insaisissable François Ozon s’empare d’une pièce de boulevard signée Barillet et Grédy, pour en tirer une adaptation très libre, politique, drôle et mélancolique, au casting parfait et à la mise en scène fluide et élégante. Christophe Chabert
Un mot d’abord sur l’étrange carrière de François Ozon. Peu de cinéastes français contemporains ont été aussi prolifiques (un film par an depuis 1998), aussi éclectiques et aussi inégaux. Impossible à partir de sa déjà imposante filmographie de faire des généralités : il a fait de grands films intimistes (5X2, Le Temps qui reste) mais en a raté à peu près autant (Swimming Pool, Le Refuge) ; avec des sujets plus conséquents, les fortunes sont aussi diverses, du baroque provocateur Les Amants criminels au romanesque neurasthénique d’Angel ; quand il adapte du théâtre, cela peut donner un film poussif comme 8 femmes, mais aussi une bonne claque comme Gouttes d’eau sur pierres brûlantes.
Potiche rajoute encore du paradoxe : d’abord, il sort la même année que ce qui est sans doute le pire film d’Ozon (Le Refuge) ; ensuite, il s’apparente à une commande ouvertement grand public façon 8 femmes ; enfin, il s’agit d’une comédie, genre qui a peu réussi à Ozon depuis son initial Sitcom. Pourtant, le cinéaste est ici à son meilleur, et si Potiche est avant tout un excellent divertissement, il aborde des territoires encore inconnus dans l’œuvre d’Ozon.
La «fraternité» contre le «travailler plus»
L’histoire de Potiche se passe en 1977, trois ans avant la rédaction de la pièce de Barillet et Grédy dont le film est inspiré. On pense d’abord que ce léger décalage temporel permet de laisser libre cours au goût avéré d’Ozon pour le kitsch, puisque décors, coiffures, costumes et musiques sont soigneusement estampillés 70’s, et participent du plaisir ludique façon OSS 117 qui se dégage du film. Mais 1977, c’est aussi 2007 moins 30, et cette équation représente la pincée de sel ajoutée pour transformer un matériel venu du boulevard en ironique réflexion sur l’événement politique contemporain qu’est le match Sarkozy / Royal durant la dernière Présidentielle.
Dans Potiche, le match est d’abord conjugal : Robert Pujol (Fabrice Luchini, comme un poisson dans l’eau dans un rôle d’acariâtre lâche et autoritaire) a épousé Suzanne (épatante Deneuve, à qui le film doit beaucoup), et récupéré en dot la florissante usine de parapluies de son beau-père. Pujol est un parvenu cynique, méprisant ses ouvriers, trompant son épouse avec sa secrétaire, préférant sa fille arriviste à son fils aux idées progressistes. Suzanne n’est qu’une potiche, qui s’occupe de la maison, de la cuisine et des enfants. Après avoir été séquestré dans son usine, Pujol est mis au repos forcé et c’est sa grande bourgeoise de femme qui reprend les affaires, rétablit contre toute attente la paix sociale à l’aide du député communiste Babin (Depardieu, une quatrième fois génial cette année sur les écrans) et s’offre un salutaire sursaut d’indépendance.
Au milieu des dialogues plutôt enlevés de Barillet et Grédy, Ozon a disposé des répliques de son cru volées à l’actualité : Pujol lance des «Pour gagner plus, il faudra travailler plus» et autres «Casse-toi pov’con» ; Suzanne, elle, ne jure que par la «fraternité». Potiche vaut plus cependant que ce genre de détails potaches, car Ozon ajoute au clin d’œil un audacieux commentaire qui sous-entend que ces deux-là viennent en fait du même monde, conservateur et nostalgique ; et même que Suzanne-Ségolène est peut-être la plus bourgeoise des deux, Robert-Nicolas n’étant dans le fond qu’un nouveau riche profiteur.
Flashbacks et come back
Que Potiche soit une formidable comédie politique ne fait pas de doute ; mais sa réussite dépasse encore ce cocktail jubilatoire. Car Ozon va dévoiler le passé sentimental de Suzanne, révélant que l’épouse n’a pas toujours été fidèle ; au contraire, ses jeunes années furent un incessant libertinage. Ces révélations, la mise en scène les orchestre partie avec de belles scènes intimistes et douces-amères entre Deneuve et Depardieu, partie par des flashbacks hamiltoniens où leurs alter-ego jeunes marivaudent en bord de route. Ozon surprend alors par le sérieux de sa mise en scène, passant avec souplesse du deuxième au premier degré pour faire surgir la mélancolie et l’émotion.
Cette précision et cette fluidité, cela faisait longtemps que le cinéaste ne les avait pas déployées à l’écran. Dans Potiche, tout s’enchaîne avec grâce, légèreté, simplicité : l’humour, l’ironie, les larmes, la danse… On ne dira pas qu’il s’agit d’un accomplissement ou d’un nouveau départ (avec Ozon, la prudence est de mise) ; juste du surprenant et réjouissant retour au premier plan d’un cinéaste dont on n’attendait plus grand chose depuis quelques films.
Potiche
De François Ozon (Fr, 1h45) avec Catherine Deneuve, Fabrice Luchini, Gérard Depardieu…
pour aller plus loin
vous serez sans doute intéressé par...
Lundi 13 décembre 2021 Sorti à l’époque dans un savoureux contretemps printanier — il était alors présenté en (...)
Mercredi 22 septembre 2021 Comme toujours impressionnant dans le rôle d’un vieil homme diminué par un AVC demandant à sa fille de l’aider à mourir (et odieux), André Dussollier est au centre du nouveau film de François Ozon. Tout sauf mortifère, ce voyage au cœur d’une pure...
Jeudi 20 mai 2021 Adapté du roman de Laurent Mauvignier, "Des hommes" (en salle le 2 juin) rend justice à toutes ces victimes de la Guerre d’Algérie payant les intérêts de décisions "supérieures" prises au nom des États. Et s’inscrit avec cohérence dans la...
Mardi 7 juillet 2020 Dans la sélection officielle du Festival de Cannes 2020, en compétition au Festival de San Sebastien, Été 85 séduit… Sans doute parce qu’il parle de séduction et renvoie à l’adolescence des spectateurs. En tout cas, à celle de son auteur, François...
Mardi 7 juillet 2020 Généalogie d’une histoire d’amour entre deux garçons à l’été 85 qui débouchera sur un crime. François Ozon voyage dans ses souvenirs et lectures d’ado et signe son Temps retrouvé. Sélection officielle Cannes 2020.
Mardi 17 décembre 2019 De Hirokazu Kore-eda (Fr.-Jap., 1h47) avec Catherine Deneuve, Juliette Binoche, Ethan Hawke, Margot Clavel…
Mardi 3 septembre 2019 Dans "Fête de famille", film de Cédric Kahn, l’une est une mère fuyante, l’autre une fille hurlante. Pas étonnant qu’elles n’arrivent pas à communiquer. Mais ici, les deux comédiennes Catherine Deneuve et Emmanuelle Bercot dialoguent sans peine.
Mardi 3 septembre 2019 Un seul être revient… et tout est dévasté. Cédric Kahn convoque un petit théâtre tchekhovien pour pratiquer la psychanalyse explosive d’une famille aux placards emplis de squelettes bien vivants. Un drame ordinaire cruel servi par des interprètes...
Mardi 23 avril 2019 Le réaliateur français place sa huitième collaboration avec Catherine Deneuve sous un signe politique et cosmique avec ce film dans lequel une grand-mère se démène pour empêcher son petit-fils de partir en Syrie faire le djihad. Où l’on apprend...
Vendredi 19 avril 2019 Une grand-mère se démène pour empêcher son petit-fils de partir en Syrie faire le djihad. André Téchiné se penche sur la question de la radicalisation hors des banlieues et livre avec son acuité coutumière un saisissant portrait d’une jeunesse...
Mardi 12 février 2019 D’une affaire sordide saignant encore l’actualité de ses blessures, François Ozon tire l’un de ses films les plus sobres et justes, explorant la douleur comme le mal sous des jours inattendus. Réalisation au cordeau, interprétation à l’avenant. En...
Mardi 12 février 2019 Dans le film de François Ozon "Grâce à Dieu", il incarne celui grâce auquel le scandale éclate enfin. Riche d’une carrière de plus de trente ans dans le cinéma (mais pas seulement), Melvil Poupaud enchaîne les partitions exigeantes et variées sans...
Mardi 5 février 2019 de Julie Bertuccelli (Fr, 1h35) avec Catherine Deneuve, Chiara Mastroianni, Samir Guesmi…
Mardi 4 décembre 2018 de Guillaume Nicloux (Fr, 1h43) avec Gaspard Ulliel, Guillaume Gouix, Gérard Depardieu…
Lundi 19 novembre 2018 de et avec Kheiron (Fr., 1h40) avec également Catherine Deneuve, André Dussollier…
Lundi 23 avril 2018 de et avec Daniel Auteuil (Fr, 1h24) avec également Gérard Depardieu, Sandrine Kiberlain, Adriana Ugarte…
Vendredi 3 novembre 2017 de Thierry Klifa (Fr., 1h38) avec Catherine Deneuve, Diane Kruger, Nekfeu…
Samedi 27 mai 2017 Une jeune femme perturbée découvre que son ancien psy et actuel compagnon mène une double vie. Entre fantômes et fantasmes, le nouveau François Ozon transforme ses spectateurs en voyeurs d’une œuvre de synthèse. En lice à Cannes 2017.
Mardi 21 mars 2017 De Martin Provost (Fr, 1h57) avec Catherine Deneuve, Catherine Frot, Olivier Gourmet…
Mardi 21 mars 2017 Si "Séraphine" et "Violette" ont montré son amour pour les œuvres d’époque, Martin Provost n’en reste pas moins fou des femmes, même lorsqu’il les filme de nos jours dans son "Sage femme". Méthode et peinture de ce portraitiste d’actrices.
Mardi 1 mars 2016 Le millésime 2016 de Benoît Delépine et Gustave Kervern, les plus illustres cinéastes grolandais, est arrivé et il n’a rien d’une pochade : derrière son nez rouge de clown, "Saint Amour" dissimule une histoire d’amour(s) tout en sobriété… Notre film...
Mardi 1 septembre 2015 De Jaco van Dormael (Be/Fr/Lux, 1h50) avec Pili Groyne, Benoît Poelvoorde, Yolande Moreau, François Damiens, Catherine Deneuve…
Mardi 16 juin 2015 De Guillaume Nicloux (Fr, 1h32) avec Gérard Depardieu, Isabelle Huppert…
Mardi 12 mai 2015 Portrait d’un adolescent en rupture totale avec la société que des âmes attentionnées tentent de remettre dans le droit chemin, le nouveau film d’Emmanuelle Bercot est une œuvre coup de poing sous tension constante, qui multiplie les points de vue...
Mardi 4 novembre 2014 De François Ozon (Fr, 1h47) avec Romain Duris, Anaïs Demoustier, Raphaël Personnaz…
Mardi 22 avril 2014 Rencontre dans une cour d’immeuble entre un gardien dépressif et une retraitée persuadée que le bâtiment va s’effondrer : entre comédie de l’anxiété contemporaine et drame de la vie domestique, Pierre Salvadori parvient à un équilibre miraculeux et...
Lundi 31 mars 2014 Notre bel et long anniversaire (20 ans!) se poursuit cette semaine du côté du Club avec une séance spéciale en association avec Vues d’en face, festival (...)
Vendredi 21 mars 2014 La nouvelle édition du Festival international du film gay et lesbien de Grenoble aura lieu du vendredi 11 au samedi 19 avril, principalement au cinéma Le (...)