CINÉMA/ Dixième édition cette semaine de Vues d'en face, le festival international du film gay et lesbien. L'occasion d'une présentation approfondie de la manifestation avec monsieur le président Jean Dorel, qui l'affirme : « pour les dix ans, le bilan est positif, parce qu'on est parvenus à s'ancrer dans le paysage culturel grenoblois en passant des films qui ne sortent nulle part et en attirant un public pour les voir. » Propos recueillis par Aurélien Martinez
Avril 2002. Le valeureux cinéma Le Club accueille pour la première fois à Grenoble un étrange évènement, destiné à montrer des films souvent inédits et – surtout – traitant d'un drôle de sujet : les gays et les lesbiennes. Jean Dorel, le président de l'affaire : « C'était une petite quinzaine de personnes qui s'étaient rencontrées notamment dans les associations aujourd'hui à Cigale [le collectif interassociations gays et lesbiennes de Grenoble – NDLR], sous l'impulsion de Stéphane Moulin, le président fondateur du festival. Il y avait cette envie de montrer des films. Ça a commencé au Club, avant avril 2002 [l'association a vu le jour en mars 2001 – NDLR], avec quelques séances pour voir. Et ensuite la première édition, à partir de rien : ça a donc demandé un an de travail pour rechercher les œuvres, financer l'organisation, trouver une salle...» Un acte 1 que Jean Dorel a vécu comme spectateur (il rejoindra les organisateurs trois ans plus tard). « Il y avait une ambiance agréable avec des gens accueillants et ouverts. » À l'époque, ce genre d'épopée n'était pas encore légion comme aujourd'hui (on dénombre pas moins de trois festivals rien qu'en Rhône-Alpes : Saint-Étienne, Lyon et Grenoble). Il y avait tout juste celui de Paris, et un à Lille, maintenant disparu. « Et les festivals francophones en Belgique, qui sont très importants, bien plus que tous ceux de France cumulés. »
De la force du documentaire
La ligne directrice de la manifestation dès les origines ? « Promouvoir des œuvres cinématographiques présentant des personnages ou des thématiques gays et lesbiennes et diffuser des films français et étrangers ignorés des circuits de distribution et d'exploitation » comme l'écrit l'équipe du festival. Une ligne qu'elle suit toujours, dix ans après, avec une méthode rodée. Jean Dorel : « Il y a la production annuelle d'environ 150 films sur la thématique. On en voit les trois quarts, et on en sélectionne vingt. Il y a de tout : des comédies, des drames... Mais le point où l'on place beaucoup de nos forces, c'est au niveau des documentaires. Pour le coup, ce sont des productions jamais vues, jamais éditées en DVD... Alors que ce genre cinématographique arrive à évoquer des sujets divers et variés. »
« On tend vers tout le monde »
Dix ans après les débuts, il reste seulement deux membres fondateurs : le crew Vues d'en face, composé uniquement de bénévoles, s'est donc considérablement renouvelé, en gardant en tête le projet initial comme évoqué plus haut, et en essayant néanmoins de l'ouvrir au plus grand nombre – chaque édition réunit environ 2000 spectateurs. « Évidemment, dix ans après, il reste un tas de choses à faire, notamment niveau diversification des publics, en allant à la rencontre du plus grand nombre possible. On sort beaucoup : on va à la Cinémathèque, au CCC, sur le campus avec un partenariat avec Un tramway nommé culture – on offre un film aux étudiants : cette année Plan B, que je trouve très intéressant... On essaie de diversifier ! En tout cas, on tend vers tout le monde. » Surtout que Jean Dorel, même s'il ne se considère pas spécialiste de la question, a vu le cinéma gay et lesbien évoluer depuis les débuts de Vues d'en face, le curseur s'étant déplacé. « Ce cinéma est en train de prendre une tournure moins militante, avec un soucis de la mise en scène plus important qu'auparavant. Les réalisateurs ne se contentent plus de filmer leurs affects amoureux, mais ils essaient de les mettre dans un monde réel. » Même s'il a bien conscience qu'il reste encore un chemin énorme à parcourir pour que le cinéma gay et lesbien arrive jusqu'au grand public, comme n'importe quel genre cinématographique. « Dix ans après la création de Vues d'en face, les propositions d'œuvres cinématographiques abordant les homosexualités restent toujours marginales malgré quelques succès grand public et la création de festivals lesbien gay bi trans » déplore l'équipe sur son site. Jean Dorel : « Depuis Brokeback Mountain [sorti en 2006], je ne serais pas bien capable de citer un grand film gay et lesbien qui soit sorti sur grand écran. » Nous non plus. Et c'est justement ce qui donne toute sa légitimité à une telle aventure.
VUES D'EN FACE
Jusqu'au mardi 19 avril, au cinéma Le Club. Programme complet sur www.vuesdenface.com