L'ivresse du pouvoir

Pour son premier rôle au cinéma, Raphaël Ferret, jeune acteur ayant ourdi ses premières armes sur les planches grenobloises, se retrouve dans la peau du juge Burgaud dans Présumé Coupable de Vincent Garenq. Entretien. Propos recueillis par François Cau

Petit Bulletin : Décririez-vous le film comme une pure fiction ou comme une interprétation cinématographique de l’affaire d’Outreau empruntant au documentaire ?
Raphaël Ferret : Au départ, il y avait vraiment une volonté du réalisateur d’aller dans une direction très proche du documentaire – il avait même pensé à utiliser un dispositif de caméras de vidéosurveillance. Mais quoi qu’il arrive, on est dans l’adaptation d’un livre, et donc même si on se base sur des faits qui se sont produits, on est forcément dans la fiction. On vit l’affaire à travers le regard d’Alain Marécaux. Justement, Présumé Coupable ne propose que ce regard-là, avec une vision uniforme et obligatoirement négative du juge Burgaud. Comment fait-on exister son personnage dans ces conditions ?
J’ai essayé de ne pas prendre ça en compte. J’ai tenté de faire le travail d’un juge d’instruction, dont le rôle est de rechercher la manifestation de la vérité, d’instruire à charge et à décharge. J’ai procédé comme ça avec Burgaud, voir ce qu’il a fait, mais aussi ce qu’il a pu faire de bien, chercher pourquoi il a agi de cette façon. Je me suis basé sur les rapports de son greffier, qui décrivait ses actions au jour le jour. Le but était de trouver la quotidienneté de Burgaud, de ne pas trop aller dans la méchanceté. Comment s’est opéré le déclic dans l’appréhension du personnage ?
Il y a très peu d’images de lui, et les seules que je voyais étaient en contradiction avec ce que je lisais ou ce qu’on me racontait de lui : quelqu’un de froid, cynique, dur, méprisant, hautain. Et sur les images de la commission parlementaire, on voit un petit garçon apeuré, qui bégaie, qui est fuyant. Et ça m’a interpellé, je me demandais s’il jouait un rôle – tous les acquittés disaient en plus « mais attendez, ce n’est pas le Burgaud auquel on a été confrontés ! ». J’ai donc décidé de regarder la commission de bout en bout (ce qui fait cinq-six heures), et il y a effectivement un moment où cette carapace se fend : quelqu’un lui pose une question un peu directe et il lui jette un regard très noir, il se penche pour dire quelque chose à son avocat, et là j’ai retrouvé le Burgaud que tout le monde décrivait. Malgré tout le poids de cette affaire, avez-vous ressenti de la jubilation à camper un bad guy ?
Non seulement ça m’est arrivé, mais ça m’a aidé à le comprendre. Le premier jour de tournage, on a fait la scène de perquisition, qu’on voit au début du film. J’étais en costume, avec les mecs qui jouaient les flics - qui en réalité sont de vrais flics. Même s’ils savaient que j’étais acteur, ils étaient très respectueux, ils me donnaient du “monsieur le juge“ à tout bout de champ. Quand je suis entré dans la maison, que je me suis mis à leur donner des ordres, j’ai senti une espèce de pouvoir incroyable – je me suis dit putain, en fait ce mec arrive à sa première perquisition en costard, comme un cowboy, avec des mecs super baraqués derrière lui, il a le pouvoir sur tout… j’ai ressenti de la jubilation, presque du plaisir, à me dire “ça y est, j’ai tous les droits“. Une sorte d’ivresse que Burgaud a dû ressentir, et ça m’a vraiment aidé à trouver le personnage, et éventuellement trouver l’occasion de l’excuser. Vous m’aviez raconté qu’après la projection du film, on vous regardait avec défiance ; à votre avis, c’est le signe que le film fonctionne ?
Ce qui arrive à Alain Marécaux est tellement dur que forcément, le personnage de Burgaud apparaît comme le bourreau et le responsable de cette affaire, et forcément, les gens me regardent à la fin comme si j’étais le salaud ultime. Mais je ne voulais pas d’un rôle de méchant comme ce policier dans L’Echange de Clint Eastwood, je voulais laisser parler les faits, qu’ils expriment cette méchanceté à ma place. En fait, les spectateurs me regardent comme si je pouvais faire la même chose, avoir les mêmes réactions de technocrates ; ils comprennent que ce n’est pas un monstre, mais un trentenaire avec une très haute estime de lui. Je voulais montrer qu’un mec normal peut faire quelque chose de monstrueux. Présumé Coupable
De Vincent Garenq (Fr, 1h42) avec Philippe Torreton, Wladimir Yordanoff, Raphaël Ferret…
Sortie le 7 septembre, avant-première mardi 6 septembre à 20h, au Pathé Chavant

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