Yes, Akram can !

Yes, Akram can !
Desh

MC2

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Chorégraphe et danseur auréolé d'une gloire méritée et quasi-unanime, Akram Kahn est l'artiste associé de la MC2 pour trois ans. Blessé l'an passé, il avait dû annuler les représentations de Desh et Gnosis, que l'on pourra découvrir ce mois-ci. Pièces dont il nous a parlé, avant d'évoquer iTMOi (In the mind of igor), une création en cours que le monde entier attend (si, si !). Propos recueillis par Laetitia Giry

Desh est votre premier solo... comment vous est venue l'envie d'être seul en scène sur un sujet touchant à vos racines ?
Faire un solo, c'était mon idée, j'en éprouvais l'envie depuis un moment déjà. Mais le concept, en soi, de faire quelque chose sur le Bangladesh, c'était une idée de Tim Yip, le scénographe. Je ne savais pas trop quoi faire, on est allés diner pour en parler... Il m'a dit « on va créer un spectacle sur ta maison, sur ton chez toi ».  Je lui ai répondu que ma maison c'était Londres ! Il a rétorqué « non, cherche plus profond. Regarde du côté de tes racines, celles de tes parents ou même celles de tes grands-parents. » Et voilà l'idée du Bangladesh. Au début je ne voulais pas, parce que je ressens beaucoup de colère contre ce pays, plus particulièrement contre mon père. Mais c'est comme cela que tout a commencé.

Ce spectacle porte donc bien sur l'intime...
Oui, mais on est dans les extrêmes. La scénographie est épique, le décor est immense et compliqué, et pourtant le fond est de fait très intime – du moins, il essaye. C'est une sorte de quête identitaire. Chacun cherche sa voix, et quand on la trouve, le plus difficile est de s'en séparer. C'est de ça qu'il est question dans Desh. De père, de génération, de transmission, de souvenirs donnés à la génération suivante. Car une génération ne peut vivre qu'en passant le relai à la suivante, en vivant ses souvenirs à travers elle.

Seul sur scène, vous êtes cependant très entouré en coulisses... Comment avez-vous concilié vos différentes approches ?
On est allés passer dix jours ensemble au Bangladesh (avec le compositeur, le concepteur lumière, le scénographe, le producteur la dramaturge...), et l'idée qui en est ressortie était celle de l'homme face à la nature. Pour les gens qui vivent là-bas, la nature est très agressive. Ils évoluent entre la vie et la mort : c'est le principe de leur relation avec elle. Mes collaborateurs étaient fascinés par les éléments, l'eau, la terre. Surtout Karthika Naire, qui a écrit les histoires, inventé de nombreux personnages de la pièce – elle a fait beaucoup de recherches, et c'est de son travail que le spectacle est né.

La rencontre des cultures au Bangladesh vous a personnellement inspiré ?
Ce n'est pas un endroit primitif. La société y est intelligente, mais l'est avec des ressources qui, elles, sont encore primitives, précaires. Les Bangladais ont accès aux mêmes technologies que nous en Occident, mais ce qui me fascine le plus, c'est d'observer la manière sophistiquée avec laquelle ils utilisent ce dont ils disposent – pas grand chose – dans les petits villages. Par exemple, les cargos rouillés envoyés par la Chine ou l'Europe sont récupérés en pièces, et reconstruits à l'aide de simples marteaux et bouts de bambou, sans nos machines, avec les moyens du bord... C'est incroyable ce qu'ils peuvent faire avec leurs mains, leur imagination et leur créativité !

A priori spectacle de danse, Desh est cependant très théâtral, très narratif...
Oui, complètement ! Je suis ici à la fois chorégraphe et metteur en scène. C'est un spectacle assez cinématographique, proche d'un film, mais sur scène. Il commence avec la fin : la mort de mon père. Mais en réalité il n'est pas mort. Il était un peu contrarié quand je le lui ai dit, avant la première. Puis quand il a vu le spectacle, il était content – peu lui importe qu'il soit mort, il est partout.

Gnosis, pièce créée avant Desh, est quant à elle plus centrée sur la danse...
En effet. La première moitié est classique, la seconde contemporaine, basée sur une histoire mythologique classique. Plutôt qu'une confrontation entre l'ancien et le moderne, je la vois comme une rivière, qui se déplace d'un pays à l'autre. Comme une rivière qui plonge dans l'océan.

Et l'océan serait...
Le contemporain ! La rivière est une ligne de vie qui rencontre la mer – l'ouverture totale des possibilités.

Votre création en cours, iTMOi, sera donnée à la MC2 en mai (en première mondiale)... Comment ce travail évolue-t-il ?
Je suis vraiment content de construire ce projet à Grenoble. L'équipe technique est très bien, le bâtiment aussi. On m'a donné l'espace nécessaire pour créer dans les meilleures conditions. À Londres ou Paris, c'est le chaos ! Ici, il y a de la nature, et des montagnes où que l'on pose les yeux. On tente d'écrire une histoire autour du Sacre du printemps de Stravinski. La musique de départ est une source d'inspiration mais j'ai invité trois compositeurs pour écrire une bande son nouvelle (Nitin Sawney, Jocelyn Pook  et Ben Frost). Tout tourne autour du concept de sacrifice.

Les photos prises pour illustrer ce spectacle à venir sont extrêmement artistiques, elles sont à la fois récit et œuvre purement esthétique. D'elles semble émaner quelque chose de la figure christique... le voyez-vous ainsi ?
Non [il hésite, ndlr], mais peut-être, oui. Avec les branches qui poussent du personnage, l'omniprésence de la nature, les plumes... Pour l'instant, on est en création, c'est très intense. Mon équipe est constituée de onze danseurs, quant à moi, j'aime ne pas être sur scène. Les jeunes dansent différemment des plus âgés, la combinaison est intéressante, mais je ne voulais pas en faire partie ici.

L'an passé, vous étiez blessé et ne pouviez plus danser. Comment s'est passé votre retour ? Vivez-vous dans la peur d'une nouvelle trahison de votre corps ?
Retourner sur scène a demandé beaucoup de travail, de soutien et d'amour de la part de ma compagnie, ma famille, mon kiné... tout cela m'a beaucoup aidé. Aujourd'hui, je n'ai pas peur. Car je le sens si je vais trop loin, mon corps me le fait savoir. La réalité, c'est qu'il y a des choses que je ne peux plus faire. Je ne dirais pas que je me limite, plutôt que je transforme mes mouvements. Si j'étais limité, je ne ferais plus rien. Il faut trouver une autre manière de faire, avoir le même impact mais pas avec des moyens différents.

Desh, du 13 au 15 février à la MC2
Gnosis, mercredi 20 et jeudi 21 février à la MC2
iTMOi (In the mind of igor), du 14 au 18 mai à la MC2

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