Le passionnant Ibrahim Maalouf revient à Grenoble avec ses musiciens pour un concert, plus pop que les précédents, dans l'immense Summum. Nous en avons profité pour poser quelques questions à celui qui, en dix ans d'une carrière fulgurante, est devenu une véritable rock star de la trompette.
Des salles combles partout en France, des tournées internationales, des récompenses à la pelle : vous êtes une véritable rock star ! Vous voyez-vous comme ça ?
Ibrahim Maalouf : Oulala, pas du tout ! Je me sens très chanceux, c'est sûr, mais c'est le résultat de nombreuses années de travail intense, et de galères aussi. Ce n'est pas arrivé du jour au lendemain. Donc, je profite du succès, sans la sensation de l'avoir volé. Mais en sachant aussi que nos métiers sont comme ça : un jour t'es en haut, un jour t'es en bas de la vague. J'espère donc que je continuerai longtemps à susciter l'enthousiasme, mais peu importe ce qui arrive à l'avenir, je ferai toujours mon métier avec autant d'amour et d'envie.
En ce moment, vous êtes donc sur le haut de la vague... Quelques jours après Grenoble, vous allez même faire la mythique salle parisienne de Bercy. Vous n'avez pas un peu le vertige ?
C'est la plus grande salle de France, certes... Et le dernier jazzman passé par là, c'est Miles Davis en 1984. Donc c'est sûr que ça fait peur ! Mais bon, sur scène, je vais faire la seule chose que je pense à peu près savoir faire, donc faut pas non plus que je m'inquiète trop !
À quand une tournée des stades après ça ?!
Jamais ! Ce n'est pas trop mon délire. On fait Bercy parce que ça a du sens. Je veux fêter 10 années de tournée – entre 70 et 140 concerts à l'année, dans 28 pays au total – et après prendre une grande pause. J'ai aussi envie d'avoir une vie de famille ! Ce concert gigantesque – pour moi musicien instrumentiste, c'est l'équivalent d'un double Stade de France pour un chanteur ! – est une façon de dire merci au public qui me suit depuis longtemps.
Vous vous amusez beaucoup du lien que vous entretenez avec votre public, en lui faisant par exemple reprendre en concert les mélodies de vos titres... Comme un chanteur à tubes !
J'avoue que ça me plaît, ce rapport assez chouette avec l'art populaire. Faire chanter le public c'est le b.a.-ba de ce rapport sain et humain entre un artiste et son public. Je n'aime pas les concerts froids où les artistes sont distants du public. Mais ça me plaît aussi parce qu'à côté, il y a des morceaux beaucoup plus complexes, et que c'est cette compatibilité des idées qui, selon moi, fait la diversité des propositions artistiques.
Red & Black Light, l'album que vous défendez en tournée, est justement plus pop que les précédents, avec carrément une reprise de Beyoncé ! Pourquoi êtes-vous allé dans cette direction plus "musiques actuelles" ?
Et bien justement parce que c'est aussi ma culture ! C'est bizarre, je trouve, de vivre au XXIe siècle et de composer des musiques qui appartiennent aux années 1970, 1960 ou même plus loin encore. Je suis un musicien d'aujourd'hui, alors mes influences sont aussi actuelles.
Dans le petit texte de présentation du concert, vous écrivez avoir «contourné le piège de l'élitisme et de l'écriture scientifique ». C'est-à-dire ? Reprochez-vous à certains de vos confrères de tomber dans ce piège ? Et ce piège éloignerait-il le public ?
Dans toute forme d'art, il y a le risque d'un côté de zapper l'essentielle complexité des langages qui permettent d'aller loin dans la recherche, ce qui peut faire tomber dans le piège de la recherche uniquement populaire ; et de l'autre, il y a le risque inverse ! L'histoire du jazz est ainsi passionnante, avec tellement de musiques capables de vous intimider d'un point de vue technique, qu'il est facile de se dire qu'on va aller chercher cette complexité, et oublier qu'il y a un public, que notre métier n'est pas juste l'expression de soi. C'est plutôt l'expression de soi face à l'autre qui est censé comprendre ce que tu as à lui dire. Beaucoup d'artistes ne sont pas d'accord avec moi...
Vous pensez à ceux qui se disent puristes et qui critiquent votre rapport à la musique ?
Peut-être, mais je ne le dis pas pour eux en particulier. Je pense sincèrement que c'est important de ne pas oublier le public.
Vous voyez-vous encore comme un musicien de jazz – si tant est que vous vous soyez vu comme ça un jour ?
Je ne sais pas honnêtement. Je n'y pense que lorsqu'on me pose la question...
Ibrahim Maalouf
Au Summum mercredi 7 décembre à 20h