"Fantastic Mr. Fox" : fantastique M Anderson

Fable pour enfants et conte pour adultes, divertissement majuscule et immense film d’auteur, leçon de vie et leçon de cinéma : "Fantastic Mr. Fox" de Wes Anderson est une œuvre majeure.

Un couple de renards joue les Bonnie & Clyde dans les poulaillers de la région. Pendant un casse qui tourne mal, Mrs. Fox avoue à son bandit d’époux qu’elle est enceinte. Fox prend donc une décision radicale : s’embourgeoiser. Il enfile un costard et une cravate, trouve un vrai boulot (éditorialiste dans le canard local) et un vrai terrier, tandis que sa belle se met à la cuisine végétarienne et que Ash, son fiston au physique chétif, subit les moqueries des brutes de l’école. Fox recueille aussi son neveu, dont les parents sont malades, et qui s’avère un enfant modèle : sportif, élancé, éloquent.

Ce joli portrait de famille est en fait pour Mr. Fox une prison domestique. Lui, le voleur de poules, voit ressurgir son instinct animal : il prépare donc un dernier coup, le cambriolage de trois fermes qui forment un consortium industriel. Ce génie du crime s’associe pour l’occasion avec Badger, un blaireau lent à la détente, et prend soin de camoufler son plan au reste de la maisonnée.

Maison de poupées

Fantastic Mr. Fox, inspiré par un roman de Roald Dahl, tient la distance de ce premier tiers étourdissant. La vivacité du trait scénaristique et des dialogues n’a d’égal que l’élégance de l’animation image par image, technique qui paraîtra désuète à l’heure de la 3D mais à laquelle Wes Anderson confère un panache certain. Chaque plan fourmille de détails cocasses et burlesques, des petits riens qui, à l’échelle du film, finissent par former un grand tout joyeux et irrévérencieux.

Il se produit même au cours de Fantastic Mr. Fox une drôle d’expérience : ces marionnettes animées qui vont et viennent de long en large sur l’écran semblaient destinées au style visuel de Wes Anderson. Car le cinéaste compose ses plans comme si le cadre était une maison de poupée, que l’on pourrait embrasser d’un seul regard ou à l’intérieur de laquelle l’œil-caméra se déplacerait librement d’une pièce à l’autre. Source de gags et de poésie, cette mise en scène du monde prend tout son sens une fois remplie d’animaux parlants qui se posent peu ou prou les mêmes questions que les humains qui peuplaient Rushmore, La Famille Tenenbaum ou le Darjeeling limited. Après tout, le cinéma d’Anderson n’a jamais été autre chose qu’une méditation philosophique sur la relativité des comportements…

Dans les yeux d’un père

Le film est donc un grand jeu où l’on passe, selon son envie, de son texte à son sous-texte sans pour autant (exploit rare) perdre le plaisir immédiat ressenti à sa vision. Le conte pour enfants est une ode à la différence, à l’entraide et au courage. La fable pour adultes médite, une fois de plus chez Anderson, sur une notion ô combien complexe : qu’est-ce qu’être un bon père et comment peut-on réussir à être un fils ? Fox doit faire le choix entre sa liberté d’homme et ses responsabilités de parent et d’époux, tandis que Ash ne rêve que de se hisser à la hauteur de son modèle, quitte à trahir sa confiance. Une image est particulièrement forte : lors d’une de ses opérations, Fox perd sa queue. Une émasculation symbolique qu’il vit effectivement comme une humiliation. Ash voudra reprendre cette queue et la recoudre, lui qui au sein de son école souffre aussi de ne pas être assez viril face à ses camarades.

Dans Fantastic Mr. Fox, le premier rêve est donc celui de se refléter dans les yeux de son père, et de cet accomplissement initial découle le reste d’une vie. Un des plus beaux personnages est ainsi celui de Rat : autrefois complice de Fox, il est devenu un agent de sécurité alcoolique au service de patrons de ferme sans scrupule. Plus qu’un méchant, il incarne ce que la fable aurait pu être si elle avait viré au noir : un ressassement d’amertume et d’aigreurs.

Le renoncement et son envers, l’accomplissement de soi, sont au centre de Fantastic Mr. Fox, et les réponses apportées sont loin d’être simplistes. Dans le tourbillon de poursuites, de péripéties et de références qui constituent le cœur battant du film (notamment de nombreux hommages au western), Anderson trace donc un sillon extrêmement personnel, et signe peut-être ici son œuvre la plus accomplie. En tout cas, une chose ne fait guère de doutes : comme Max et les Maximonstres, Fantastic Mr. Fox restera pour longtemps comme une référence absolue du cinéma "jeune public".

Fantastic Mr. Fox
De Wes Anderson (ÉU, 1h27) animation

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