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Sleeping beauty
Par François Cau
Publié Jeudi 10 novembre 2011 - 7668 lectures
Premier film de Julia Leigh, romancière australienne réputée, cette fable contemporaine autour d’une jeune fille qui accepte de dormir nue aux côtés de vieillards solitaires contre rémunération n’a de provocateur que son pitch. Le reste n’est qu’esthétisme et leçon de morale. Christophe Chabert
Au XXIe siècle dominé par la violence des échanges financiers, la précarité et la servitude économique, Julia Leigh nous raconte sa version de La Belle au bois dormant : Lucy, lasse d’essuyer des verres au fond d’un café ou d’avaler des sondes gastriques pour quelques dollars (australiens), trouve un plan beaucoup plus lucratif. Dans une somptueuse demeure, elle devra se déshabiller, avaler un puissant somnifère et laisser des hommes passer la nuit avec elle. La règle, édictée par la mère maquerelle, est claire : «Pas de pénétration». Que se passe-t-il alors ? De lents cérémoniaux traduisant la solitude sentimentale des clients, fascinés par cette beauté juvénile qui désormais leur est interdite dans la «vraie» vie.
Attention, froideur !
Sur ce canevas, Sleeping beauty déploie une mise en scène qui confine au pléonasme. Le monde est inhumain, les êtres ne communiquent plus que pour se vendre des services ? Julia Leigh va donc filmer l’ensemble avec des plans fixes au rasoir à la production artistique parfaite, ne bougeant sa caméra que pour souligner les transactions en cours. Cela devrait suffire pour expliciter les intentions de la réalisatrice… Mais non ! Il faut que son personnage se plie à son tour à cette glaciation générale : Lucy traverse l’ensemble des événements sans exprimer aucune émotion, ni peine, ni joie, ni colère. La peau pâle d’Emily Browning, sa plastique de poupée en porcelaine, transforment Lucy en pur objet, non pas du désir des hommes, mais du discours de Julia Leigh. Qu’une cinéaste cherche une cohérence esthétique pour défendre ses idées, cela pourrait être louable ; mais tout, dans Sleeping beauty, relève d’une vision pour le moins binaire du monde contemporain. Pour Leigh, il n’y a aucune échappatoire à la loi de l’argent et au matérialisme triomphant. Ce ton moralisateur, associé à une maîtrise étouffante, finit même par condamner les rares personnages qui pourraient fournir un contrepoint positif à ce nihilisme plus irritant que dérangeant. Quant à la fin, qui se voudrait ouverte, elle relève plutôt de la démission scénaristique. Comme Haneke dans ses mauvais jours, Julia Leigh envoie une gifle au spectateur, puis part en courant avant que celui-ci ne la lui retourne.
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