Carrément géant

Musique / 13 ans après la sortie de son premier album, Squarepusher alias Tom Jenkinson donnera enfin un concert à Lyon ! Retour sur la carrière d’un musicien aventureux, bousculant l’électro avant de réhabiliter le jazz rock. Christophe Chabert

Selon l’expression consacrée, il est impossible de faire entrer des carrés dans des ronds. Tom Jenkinson a choisi, à travers son pseudo mais aussi par sa démarche artistique, de bousculer les carrés (Squarepusher) pour éviter que sa musique ne tourne en rond. Cela dure depuis une quinzaine d’années, et ce n’est pas pour rien qu’on chronique inlassablement dans ces colonnes chacune des sorties discographiques de cet artiste unique et solitaire, prolixe au risque de lasser ceux qui ne jurent que par la dernière mode venue. Avouons-le : Jenkinson/Squarepusher est un de nos héros, depuis ses premiers breakbeats déments aux côtés d’Aphex Twin jusqu’à son surprenant et décisif virage jazz-rock, avant sa grande envolée vers une musique électronique cubiste, synthèse en évolution constante de ses expériences passées et présentes.Désarticulé
Tout commence vraiment avec le splendide Hard normal daddy, sorti la même année et sur le même label (Warp) qu’un autre disque à l’assonance troublante, Come to daddy d’Aphex Twin. Hasard ou coïncidence, selon la formule lelouchienne ? Plutôt clin d’œil amusé de deux amis ayant partagé un temps un idéal commun (ajouter de la matière grise dans une musique électronique essentiellement dansante) avant de jeter tous deux l’éponge pour prendre du champ. Hard normal daddy aboutissait ainsi la formule drum’n’bass déjà expérimentée sur le premier album de Squarepusher (Burning’n’tree) mais y faisait entrer en contrebande des claviers jazz, des mélodies de violons synthétiques, des ponts funky futuristes. Une esthétique à la fois dans l’air du temps et déjà sauvagement indocile : à moins d’être un pantin désarticulé, impossible de suivre les rythmes possédés de Jenkinson sur le dancefloor. Mais à peine a-t-il construit son style que, déjà, il le défait. Music is rotten one note (1998), l’album suivant, voit Squarepusher mettre sa basse en bandoulière pour flanquer un coup de genou à une musique qui jusqu’alors avait plutôt mauvaise presse : le jazz-rock. Le disque est déroutant, le mélange électronique, électrique et acoustique ne fonctionne pas toujours, et ce sont les plages ambiant à la Brian Eno qui retiennent le plus l’oreille. Comme conscient de cette demi-réussite, Jenkinson sort dans la foulée un mini-album qui enfonce le clou avec nettement plus de maestria : Budakhan Mindphone (1999). Jenkinson y révèle sa nature de compositeur prodige dès l’ouverture (Iambic 5 poetry) qui reste un de ses plus grands morceaux.Uneasy listening
Une fois de plus, alors que les bases semblent posées, Jenkinson s’amuse à refaire un pas de côté. Tandis que l’Angleterre s’enflamme autour d’une nouvelle hype musicale (le 2-step, popularisé par l’ineffable Craig David), Squarepusher en propose sa version sur le rigolo Go Plastic (2001), album estival et récréatif loin des ambiances oppressantes des précédents disques. Sur My red hot car, single carnassier, une voix synthétique répète inlassablement «I’m gonna fuck you with my red hot car» sur des beats basiques et ralentis. Comme si celui qu’on avait catapulté chef de file de la «braindance» répondait à la décérébration générale par un ironique assaut de vulgarité. L’intermède refermé, Jenkinson retourne à ses fourneaux et continue de peaufiner sa formule électro-jazz-rock, notamment en live. Do you know Squarepusher (2002), double album, fait effectivement le point sur ce que l’on sait (ou pas) de l’artiste, avec un disque studio (où l’on entend une des meilleures reprises de Love will tear us apart de Joy Division) et un autre enregistré lors d’un concert visiblement hystérique au Japon. Une expérience complété par le spectaculaire Ultravisitor (2003), sans doute le chef-d’œuvre de sa discographie, long et épique voyage dans la musique de Jenkinson avec envolées lyriques, poussées d’adrénalines et contemplations hypnotiques. Les deux albums suivants (Hello everything et Just a souvenir) n’arriveront pas à dépasser ce joyau, mais dans une veine tantôt pop, tantôt abstraite, Squarepusher essaye à chaque fois de remettre son histoire en perspective avant de lui donner un nouvel élan. Comme s’il passait du carré au cube, de la 2D à la 3D. Un artiste toujours de son temps, en sorte !Squarepusher
À l’Épicerie moderne, lundi 13 avril
«Just a souvenir» (Warp/Discograph)

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