A peine auréolé du succès de Trash, son spectacle AAA dans le milieu du XXX, Jocelyn Flipo retrouve le haut de l'affiche avec Couic, comédie noire confrontant un tueur en série débutant à sa première victime. Attention, ça va faire mal.Benjamin Mialot
L'an passé, dans les recoins les plus interlopes du programme de Quais du Polar, figurait une pièce écrite et mise en scène par Christophe Chabert, notre irréductible critique cinéma – nous ne vous en avions jusqu'à présent dit mot par pur zèle déontologique. Intitulée Effraction, elle racontait sous la forme d'un huis clos aussi tendu que grinçant le cas de conscience de deux hommes de main découvrant au cours d'une banale collecte de dette une jeune femme prisonnière d'une cage, déblayant au passage un chemin de traverse théâtral assez inédit.
Cette saison, à la même période mais sans le soutien du fameux festival (dommage), c'est au tour du prolifique Jocelyn Flipo (promis, après, on ne vous parle plus de lui jusqu'à l'été) de s'aventurer dans ces eaux troubles sur lesquelles planent l'ombre de Bertrand Blier – en particulier celui de Buffet froid – avecCouic. Un registre où on l'attendait encore moins que celui, bariolé et hyper-sexué, qu'il explore dansTrash, mais où ses dialogues au cordeau et sa mise en scène cinégénique font à nouveau mouche.
Tueur niais
«Couic», c'est le son qu'entend produire Victor, psychopathe dont le sadisme n'a d'égale que le manque d'expérience – une sorte de mix entre les tueurs masochistes du premier Scream et Marvin, le «casseur flotteur» de Maman j'ai raté l'avion (il se surnomme d'ailleurs le «coupeur-colleur», sa marque de fabrique consistant à dépecer puis rafistoler ses victimes) – lorsqu'il zigouillera Jean-Luc, psychiatre bien sous tout rapport et première victime de ce qu'il espère être une série assez longue pour marquer l'histoire. Malheureusement pour lui, rien ne va se passer comme prévu...
Pour le spectateur non plus. Oubliez les fondus au noir, les blagues coquines et les feel good momentsqui caractérisent d'ordinaire les pièces de Flipo. Unité de lieu, unité de temps, humour qui file des hauts le cœur : même s'il détourne ouvertement certains codes du cinéma de genre, Couic est un pur exercice de style – pour le coup à la différence d'Effraction, qui en disait mine de rien assez long sur les mécanismes de domination – dont le minimalisme est contrebalancé par quantité d'effets de surprise (le plus réussi intervient dès les premières minutes) et trouvailles scénographiques (la nature même du Boui-Boui, à savoir une cave, est exploitée à merveille) ainsi, une fois n'est pas coutume, qu'un casting irréprochable.
Impossible en effet de départager Mathieu Coniglio (déjà saisissant en homo refoulé dans Loving Out), qui compose tout en yo-yo facial et vocal un apprenti meurtrier aussi obscène qu'amusant, et Léon Vitale (le touchant colocataire à la ramasse de Dans ta bulle), dont la voix et le physique de grizzly fatigué – qui font un peu de lui le Chuck Ragan du café-théâtre – confèrent une impressionnante présence à ce médecin aux tentatives d'évasion de plus en plus suspectes. De toutes façons, à la fin, dans le malaise comme dans le rire, c'est le public qui gagne.
Couic
Jusqu'au samedi 3 mai