Maud Lefebvre, une partie du tout

Maja

Théâtre de la Renaissance

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Portrait / Membre du Collectif X, Maud Lefebvre a la rigueur des grands enfants appliqués et la folie de ceux qui tentent de bousculer le quotidien. C’est comme metteure en scène de Cannibale que cette comédienne de formation nous avait épatés. Avec Maja, à la Renaissance cette semaine, elle convie l’étrange et nos peurs sur un plateau. Rare.

Printemps 2016. Théâtre de l’Élysée. Semaine de vacances de Pâques, donc absence quasi abyssale de programmation dans les théâtres, un temps creux pour les "professionnels de la profession". Voir Cannibale presque par hasard. Et y trouver un phare de la création contemporaine : Maud Lefebvre met en scène un texte d’Agnès D’Halluin écrit d’après son idée originale : comment un jeune couple vit alors que la maladie incurable s’empare du corps de l’un d’eux ? Tout est là : leur cadre (les différentes pièces de l’appartement, le dehors), leurs émotions (la colère forte, l’amour fou), leur quotidien (cuisiner, se laver, s’éteindre). Avec un récit qui s’élève largement au-dessus du banal, une homosexualité jamais commentée, Maud Lefebvre signe une œuvre pleine, où aucun élément du théâtre n’est négligé au prétexte (réel) d’une économie étriquée. Alors, le travail dans l’urgence compense : « j’ai deux semaines de travail au plateau, trois au maximum » dit-elle. Et toujours, à l'observer, ce souci de rendre partageable ce qui se trame en amont. Maja, cette semaine à la Renaissance en est une nouvelle preuve.

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À 33 ans, Maud Lefebvre en compte presque autant à arpenter les planches. Sa mère, scénographe et accessoiriste l’emmène partout et surtout à L’Aventure, théâtre de Hem, en banlieue lilloise où Maud fait ses premières armes dans des conditions semi-professionnelles. C'est là aussi qu'elle voit une affiche annonçant les concours pour la Comédie de Saint-Étienne. Déclic, elle se présente à 17 ans devant le jury mais reconnaît immédiatement son manque de maturité. Elle est trop jeune et diffère son entrée dans la cour des grands. Un bac L (option théâtre), une année en fac de cinéma, une année à l’école lyonnaise de la Scène sur Saône, des heures d’ouvreuse au TNP à voir des spectacles et le fonctionnement d’un gros CDN, un très court séjour pour être serveuse en Angleterre... La voici intégrant la très réputée école stéphanoise en 2009. D’emblée, il est question de groupe. « Je découvre ma promotion » dit-elle spontanément en se remémorant ce moment-là.

Pendant un an, la directrice pédagogique nous apprend à être un groupe avec des exercices où l'on doit marcher dans l’espace ensemble, s’arrêter ensemble. Ces systématismes éreintants, le prof les tenait et il a bien fait, car c’est dans le long terme que ça travaille.

Le groupe est tout constitué. Ils sont dix. Au sortir de cette promotion X, en 2012, ils fonderont comme une évidence le Collectif X. « On a cherché un nom mais ce qui importait était d’être un collectif, pas une compagnie ». Corollaire : du spectacle de fin d’année écrit par Christophe Honoré (Un jeune se tue, ms Robert Cantarella), il reste le regret de ne pas avoir pu finir cette formation sur une note partagée car le cinéaste est plus propice à livrer des monologues que des dialogues. Pour autant, ce collectif n’a rien du foutoir désorganisé. À chacun des projets : un pilote.

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Saint-Étienne déminée

Maud Lefebvre est de la partie pour Manque de Sarah Kane, Villes# mené dans des quartiers où le théâtre ne va pas grâce notamment à la collaboration d’un ami du groupe, chercheur en urbanisme. Rencontre avec les habitants, constitution de chœur public… Ce travail décentre des théâtres mais n’en éloigne pas le collectif. Maud crée sur les plateaux. Et dit beaucoup devoir au Verso, cette scène stéphanoise jumelle de l’Élysée lyonnais, « si ce théâtre n’était pas là, on ne sait pas comment on aurait démarré ». En décembre 2014, Cannibale y voit le jour.

Jeune maman, la comédienne y dort et y travaille avec l'équipe. « Ce n’était pas confortable » mais lorsqu’elle évoque ce deuxième "accouchement", plus collectif celui-ci (!), elle sourit pleinement quatre ans plus tard. Elle enchaîne sans transition en janvier 2015 avec le projet lancé par Gwenaël Morin, avec qui tous avaient travaillé à l’École : quatre mois pour Le Soulier de Satin. Pour les spectateurs que nous sommes, Claudel se dilue au Point du Jour mais l’équipe se forme. Et Maud expérimente la joie de changer de costume : passer de metteure en scène à actrice pour ne jamais oublier comment il possible de s’adresser à l’un et l’autre, de se questionner sur sa place à occuper. À l’Amicale laïque de Tardy où le collectif est en résidence, ils donneront l’intégrale du texte avec des pauses barbecue, la bonne formule pour ce que l’auteur voulait comme "populaire".

À chaque fois, il y a ce credo pour Maud Lefebvre de croire « à la qualité humaine que peut apporter le théâtre. J’ai animé, poursuit-elle, un stage "Égalité des chances" à la Comédie avec des gamins qui sont loin du milieu artistique et on sent que c’est une respiration, un besoin. Tout le monde devrait passer par ça, cette manière de parler ensemble, d’être ». C’est une façon aussi de contrer une société rigidifiée.

En général, je nous trouve assez sages. Tous. La vie manque de trucs un peu rigolos. J’avais très envie de faire des formes d’impromptues, j’avais imaginé des choses dans le métro de Lyon où les gens, quand il rentrent chez eux, disent "tu sais pas ce que j’ai vu aujourd’hui ? Une mariée était toute seule en larmes, son amant courait après elle en disant mais non, je suis désolé…" Il y a un équilibre entre folie et sagesse qui n’est pas forcément très juste. On étouffe un peu tous.

Louve, etc.

Ce décalage avec le réel, elle le met en pratique dans Maja, estampillé presque à tort jeune public et qui passera l’été à la Manufacture, lieu très repéré du Off d’Avignon. Bien sûr les enfants pourront être médusés mais ce qui intéresse la metteure en scène est le dialogue qui peut se dessiner entre enfant et adulte. Elle espère que ce dernier ne sera pas que l'accompagnateur de l'enfant devant cette fable dans laquelle un homme pleure d’avoir perdu celle qu’il aimait et qui, à délaisser son garçon, laisse entrer dans la maison un loup, symbole des maux que chacun doit affronter. Et si l'enfant demandait à la sortie du théâtre à l'adulte pourquoi il est ému ?

Quelque chose dans la transmission m’embête un peu, dit-elle. On est ultra exigeant avec les enfants, plus qu’avec soi-même. Souvent l’adulte questionne l’enfant : as-tu aimé ce spectacle ? Qu’as-tu compris ?... sans y répondre lui-même.

Comme souvent avec elle, l’ambition est haute mais profondément justifiée et légitime. Sa mère a conçu la marionnette du loup, son père, prof de construction mécanique, lui a inspiré une scène de math où le garçon est sommé d’apprendre. Voici l’héritage de ses « supers » parents, quelque chose de très fou et très stable à la fois qu’elle convertit depuis des années en un objet artistique tout à fait élaboré et pertinent.

Depuis septembre, c'est le Théâtre de la Renaissance qui la reconnaît et a la bonne idée d'en faire son artiste associée pour trois années. Janvier 2020, elle présentera Une femme sous influence. Cette filiation paraît naturelle tant elle a déjà irrigué de cinéma et de la douce extravagance de Gena Rowlands ses précédentes créations et ses personnages.

Maja
Au Théâtre de la Renaissance les vendredi 15 et samedi 16 mars

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