Théâtre de l'Élysée / Sans grand moyen mais avec une ambition artistique immense, Cannibale est la preuve que le théâtre est une arme d'émotion massive avec cette fable moderne sur l'amour et la douleur.
Deux hommes cuisinent en se racontant des banalités. Ils sont manifestement chez eux, les odeurs de viande et de légumes dorés à la poêle commencent à envahir l'espace. Ça n'a l'air de rien, c'est pourtant légèrement inquiétant : le couteau, même manié avec attention pour émincer des oignons, est presque un danger. Un faux mouvement et c'est la blessure assurée.
Cannibale est à l'instar de ce geste : constamment sur le fil du rasoir. Le récit se nourrit de ces détails ; pour le reste, rien à signaler : que le couple soit formé de deux garçons n'est jamais un sujet. L'homosexualité n'est pas discutée. Elle est là, montrée et vécue, en même temps totalement absente. Ce qui intéresse l'auteur Agnès D'halluin est cette histoire d'amour solide et magnifique ébranlée par la maladie incurable de l'un deux, poussant le rescapé à envisager de dévorer le corps de l'autre, mort.
Last exit to... death
Ce cannibalisme est aussi théâtral : l'envie de livrer une pièce très écrite et très incarnée, comme si Truffaut avait croisé François Ozon, comme si Rohmer se baladait chez Guiraudie. Ne pas exclure un lieu au profit d'un autre.
La metteuse en scène Maud Lefebvre, issue comme les deux comédiens Arthur Fourcade et Martin Sève de l'école de la Comédie de Saint-Étienne, nous emmène partout : elle n'a négligé ni l'intérieur de l'appartement créant des zones d'intimité et d'étreintes — d'engueulades aussi — qui ne tournent jamais à l'impudeur (la salle de bain, la chambre) ni les zones publiques, en l'occurrence une forêt projetée à l'avant du plateau.
Une danse s'invite, conférant à ce spectacle une vitalité hors norme, pas seulement parce qu'il traite d'une sorte de dernière sortie avant le drame mais parce qu'il ose allier la tendresse à la noirceur, bousculer son rythme en permanence, envoyer valdinguer la morbidité sans que jamais cela ne sonne creux ou vire à l'exercice de style. Déjà passé par le Point du Jour avec Le Soulier de satin, le jeune Collectif X signe là sa (première) grande œuvre, de celles qui font date.
Cannibale
Au théâtre de l'Élysée jusqu'au vendredi 30 septembre