Au Musée des Beaux-Arts, Poussin nu

Poussin et l'amour

Musée des Beaux-Arts

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Peinture / L’exposition Poussin et l’amour ouvre une brèche parmi les approches habituelles de l’œuvre du grand peintre français : derrière le Poussin cérébral et philosophe, se cache un Poussin érotique, passionnel, pulsionnel. La preuve en quarante tableaux et dessins.

L’exposition Poussin et l’amour s’ouvre de manière un peu surprenante sur… La Mort de Chioné (vers 1622) ! Une œuvre peinte, très certainement, à Lyon par le jeune Nicolas Poussin (1594-1665), et acquise par le musée en 2016. L’amour, dans ce tableau, est surtout synonyme de drame, de jalousie, de crimes. En cela, il est représentatif de toute une dimension de l’érotisme poussinien : la violence des désirs et des pulsions ! Déjà deux fois violée par des dieux enamourés (Apollon et Mercure), Chioné, d'après le récit d’Ovide, est ensuite assassinée par une Diane qui ne supportait pas sa concurrente à la beauté trop revendiquée. La flèche de Diane fichée dans la bouche de Chioné, son corps nu déjà verdâtre, la lumière lunaire qui l’éclaire : autant d’éléments qui donnent au regardeur la chair de poule.

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Entremêler Eros et Thanatos, transpercer un corps féminin d’une flèche ou de regards voyeurs, déchirer le voile de l’intimité avec violence… Autant de motifs picturaux que l’on retrouve ensuite dans d’autres tableaux de Poussin, et notamment dans ses représentations de Vénus surprise par des satyres. La déesse de l’amour endormie y est dénudée et livrée aux regards concupiscents des satyres, qui pour cela ôtent-arrachent le voile qui la recouvre. Violence du regard masculin contrastant avec l’abandon autoérotique féminin. On ne peut s’empêcher d’y voir aussi une métaphore de l’acte même de peindre des scènes érotiques : Poussin perce, arrache la toile, et fiche son regard au centre même de l’origine du monde. Une poussée de libido voyeuriste monte dans le pinceau du jeune peintre pour jouir entre les cuisses de Vénus.

Couvrez ce Poussin que je ne saurais voir

La plupart des œuvres exposées, une quarantaine de peintures et de dessins, datent des années de jeunesse de Poussin, passées à Rome à partir de 1624. Et représentent pour beaucoup des récits issus des Métamorphoses d’Ovide : Narcisse et Echo, Apollon et Daphné, Midas et Bacchus… Au XVIIe siècle déjà, ces toiles osées font scandale et quelques-unes sont détruites ou vandalisées. Ce grand refoulement a perduré bien au-delà de cette époque, jusqu’aux grands spécialistes modernes de Poussin, s’échinant à maintenir l’image d’un peintre cérébral, austère, philosophe. « Les quarante tableaux du Louvre évoquent un Poussin sérieux, où échappe complètement le Poussin érotique » indique en conférence de presse Nicolas Milovanovic, conservateur au Louvre et l’un des commissaires de l’exposition. Il a été nécessaire pour cette exposition de puiser dans les collections particulières, ou dans celles de musées étrangers, et plusieurs œuvres n’avaient jamais encore été montrées au public en France ! Bref, dans la vulgate dominante, Poussin est considéré (en forçant le trait) comme un pinceau greffé à un cerveau. L’exposition lyonnaise vient, rien moins, qu’y jeter une petite bombe... sexuelle, bien sûr.

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Poussin en 3D

Le parcours chronologique, en cinq sections thématiques (corps désirés, ivresse dionysiaque, amour et mort…), plonge le visiteur dans une atmosphère tamisée et intimiste (peut-être un peu trop, car certains tableaux non restaurés manquent d’éclat et le peu de lumière éteint encore un peu plus les choses). Si l’on notait au début de cet article une violence érotique patente dans plusieurs tableaux de Poussin, force est de constater que d’autres œuvres sont beaucoup plus caressantes et romantiques, que les corps masculins peuvent s'y dénuder eux-aussi, et que les jouissances s’éloignent du morbide ou des dominations masculines. Les satyres ivres auprès des nymphes redeviennent, par exemple, plus humains et égrillards, et les grandes scènes d’ivresse en général, les nombreuses bacchanales peintes par Poussin, insufflent à l’érotisme des airs de fête et d’abandon insouciant assez contagieux. Pour l’anecdote, il paraît que Poussin lui-même, selon les commissaires de l’exposition, était un bon buveur.

« Je n’ai rien négligé » écrivait Poussin dans une de ses lettres (citée dans le livre Sublime Poussin de Louis Marin). Cette phrase qui dénote une grande volonté de maîtrise exhaustive, dénote aussi en pointillés autre chose : Poussin n’a pas négligé le corps, les affects, les passions humaines, Eros ni Thanatos… Un (grand) artiste ne néglige rien : ni la pensée, ni le désir, ni la picturalité pure. Et l’on imagine même (en exagérant un peu) qu’il devrait être possible de faire une exposition sur : Malevitch et l’amour, Mondrian et l’amour, Soulages et l’amour…  Non pas que l’érotisme serait partout, mais parce que la peinture nous paraît être l’espace par excellence où le corps ne peut être séparé de l’esprit, l’affect de l’idée, les sens du sens. Étymologiquement, le mot pinceau dérive du pénis en latin… Et à l’autre bout du temps, la grande leçon de l’art moderne fut d’inviter à regarder les tableaux non plus seulement comme des images, mais comme des blocs d’affects et de perceptions… Le plus triste en amour, c’est la séparation : cette exposition nous invite, à l’inverse, de concomitamment lire un Poussin, s’émerveiller d’un Poussin, jouir d’un Poussin.

Poussin et l’amour
Au Musée des Beaux-Arts jusqu’au 5 mars 2023

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