Lazuli : « ça peut être problématique quand il faut me mettre dans une playlist

Nuits Sonores - Day 2

La Sucrière

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Sono mondiale / Talentueuse, impertinente, un brin épaulée par sa spiritualité, Lazuli est une artiste singulière qui a déjà entamé sa petite révolution. Vite accompagnée par des producteurs de renom comme Izen, King Doudou ou Brodinski, la Lyonnaise continue de gravir les échelons. Et sort de son chapeau des musiques teintées de reggaeton, de dembow ou de dancehall, invitant le baile funk ou bien le rap, et parfois même tout à fois. Rencontre, à quelques jours de son passage à Nuits sonores.

Votre premier single est sorti en 2021. Autant dire hier... À cette époque, vous n’aviez encore jamais touché un micro, et ignoriez tout de l’industrie de la musique. Comment gère-t-on un changement aussi rapide, de l’ombre à la lumière ?
Lazuli : Je suis très spirituelle, ça m’aide à accepter ce qu’il se passe. C’était rapide et inattendu, mais je me laisse porter par les opportunités en essayant de garder les pieds sur terre. Je mesure tous les jours la chance que j’ai et j’en profite car rien n’est jamais acquis ! Quand je suis rentrée dedans, ça a été ultra organique. J’ai tout appris en même temps : les process de travail, l’industrie, comment on défend sa musique, les labels… Je suis encore en train de découvrir les côtés sombres comme les meilleurs. J’ai décidé d’être concernée autant que possible dans des moments où il faut l’être, tout en déléguant certaines choses aux labels, aux managers, car j’ai envie de rester concentrée sur ce qui m’anime : la musique et le partage.

Surtout qu’à ce moment-là, vous lâchiez votre emploi stable d’analyste textile à la douane pour faire ce pari.
Je n’arrivais plus à me lever le matin pour aller au travail. J’ai eu d’autres rentrées d’argent avec les scènes, et depuis ma signature. J’aurais dû refuser beaucoup de scènes si j’avais gardé mon travail, et j’avais envie d’investir ce temps autrement. C’était une obligation pour passer ce step, sans quoi je n’en serais pas là. Et je suis bien entourée, ça aide. Je suis sûre de ce que je fais maintenant, même si je ne sais pas combien de temps ça va durer et quelle ampleur ça prendra. Mais pour le moment c’est ça, et je sais que je retomberai sur mes pattes. Je suis trop spirituelle dans la vie pour me stresser. Si ça doit s’arrêter, la vie m’apportera autre chose. J’essaye de ne pas me projeter avec des angoisses dans des choses que je ne peux pas prévoir.

C’est cette même spiritualité qui vous a permis de sortir votre album, Toketa, porté par le producteur lyonnais Izen. Alors que vous vous faites voler l’ordinateur sur lequel une soixantaine de tracks étaient hébergées…
On a sélectionné les quelques tracks qui nous semblaient les meilleures et les plus abouties, qu’on a récupérées en mp3, on a taffé ça, et on a sorti Toketa, un album à la rencontre du baile funk, du reggaeton, de la trap, des sonorités afro. J’applique cette philosophie dans mon quotidien et dans ma musique. Je dois être dans le moment, rebondir, prendre les choses avec recul. Tout ce qui m’arrive, je le vois comme un cadeau. Bien sûr, j’ai quand même des objectifs à long terme.

Laisser l’alchimie de tous les cerveaux opérer

Votre manière de travailler implique d’être à plusieurs sur un projet, d’écouter les productions que l’on vous propose, puis de les topliner*, et d’écrire les paroles. L’apprentissage de la production fait-il partie de vos objectifs ?
Récemment j’ai acheté le matos pour m’enregistrer seule, faire des maquettes un peu plus construites. Je ne te mens pas, c’est pas encore ça ! (rires) Ça fait mal au crâne ! La prod', c’est très technique. Et j’aime vraiment cette façon de travailler et de composer ensemble. Par contre, quand les producteurs créent, je suis concernée, je propose des choses, on discute… J’aime laisser l’alchimie de tous les cerveaux opérer. On arrive en studio, ça peut partir d’une conversation, on va commencer à produire, on laisse parler la créativité de tout le monde… Personne ne sait vraiment ce qu’on va faire, mais on fait quelque chose. On m’envoie aussi pas mal de productions, donc j’ai des moments d’écriture, si une prod' me parle.

L’écriture est une part du métier que vous avez dû apprendre en même temps que le reste. Quelle relation entretenez-vous avec cette pratique ?
C’est la chose qui me demande la plus de travail. J’adore topliner, c’est tellement naturel. Mais pour l’écriture, je me prends plus la tête, et je sais que je dois encore la développer, aller en profondeur, parler plus de moi, que les gens apprennent à me connaître. Je vais bosser ça sur l’album. Mais tous les sons ne s’y prêtent pas, sur certains sons très club, la musicalité prime.

Ça me donne des super pouvoirs

Vous n’aviez aucune base en chant. L’utilisation de l’autotune vous a t-elle aidée à appréhender votre voix ?
Complètement. Je topline avec autotune, et je m’en sers comme un jouet, ça me donne des super pouvoirs ! Ça me permet de tester, de me lâcher, d’aller chercher des choses qu’on n'aurait jamais pensé pouvoir attraper. Sur les sons baile funk, rapés, posés, je ne l’utilise pas, mais sur ceux qui sont plus chantés, si. Ça m’aide à poser ma voix, et maintenant, je prends des cours de chant car j’ai envie d’apprendre à la connaître vraiment.

Vous affirmez ne vous revendiquer d’aucun combat politique. Mais votre art n’est-il pas par définition politique ? Vous soulevez le fait d’être une femme dans l’industrie de la musique, qui prône la liberté des corps à travers la danse — vous faites notamment intervenir des personnes queer dans vos clips, vous évoquiez la difficulté de trouver un homme qui sache twerker pour tourner Casse ton dos
Il y a des partis pris, c’est évident. Mais je n’ai pas envie qu’on me fasse porter des combats. J’ai mes idées, et des choses que j’ai envie de véhiculer, mais je n’ai pas envie d’être le porte-étendard d’un message politique, au détriment de ma musique. J’ai surtout envie de faire passer des émotions. Bien sûr, si ma musique peut ouvrir des réflexions, et qu’on arrive à capter le message sous-jacent, c’est tant mieux. Parfois, il faudrait vraiment ne pas vouloir le voir pour passer à côté !(rires). Quand tu arrives à ouvrir des réflexions, tu as touché le point final du "pourquoi tu fais de l’art". Mais je ne veux pas le mettre en avant car ce sont des choses lourdes à porter publiquement. Si tu écoutes vraiment mes sons, tu peux vite capter ma personnalité, mais pas mon histoire. J’ai plutôt envie de faire passer des choses plus profondes, à terme, à travers mon histoire.

Vous l’évoquiez, la danse a une place primordiale dans votre art. Vous la ramenez d’ailleurs en club, là où elle a parfois du mal à s’immiscer. Avec l’affirmation des musiques latines en France, grâce à des artistes internationaux comme Bad Bunny, Tomasa del Real, ou Rosalía, le moment est plutôt opportun ! Vous avez aussi été accompagnée par le programme de développement d’artistes Plan B, avec Bizarre! à Vénissieux.
J’ai toujours écouté de la musique pour danser. C’est ce que je suis allée chercher dans mon voyage au Brésil, où on a tourné des clips. Là-bas, la danse rythme le quotidien. Jour et nuit, les gens dansent. Cette énergie m’a marquée. Ici, les gens sont en demande de ça, ils ont besoin de se lâcher. Ma musique est arrivée après le confinement, j’avais un besoin d’extérioriser. C’est pour ça que je fais monter des danseuses sur scène. J’ai envie de libérer les gens, de les décomplexer. Amuse-toi, on s’en fout de ton niveau de danse, ça fait du bien à tout le monde. Et si ma musique peut faire ça, c’est gagné.

Plan B, c’était pendant un an, au début de ma carrière Ça m’a tellement aidé à y croire ! Les danseuses m’accompagnaient aux shows. Il y peu, j’ai fait le Printemps de Bourges, et les personnes de Plan B étaient là. C’était un moment très émouvant car elles étaient fières de pouvoir dire « on était là au début ». Les danseuses avec qui je travaille maintenant, je les ai rencontrées sur Paris pendant une scène pour Radio France. Il y a eu un trop bon feeling, et maintenant elles chorégraphient tout, et tournent avec moi.

Je me découvre encore

Votre musique est difficile à catégoriser tant elle rend poreuses les frontières entre les genres et mélange les influences. Votre souhait était que l’on ne puisse pas vous catégoriser ?
Je ne peux pas m’identifier et me limiter dans un style de musique. Je me découvre encore, des producteurs peuvent me faire écouter quelque chose qui va beaucoup me plaire, et je n’aurais pas envie de me brider. J’ai envie que le public s’autorise à être surpris à chaque fois, se permette aussi une ouverture d’esprit, et s’habitue à tout le spectre dans lequel j’évolue. Je suis en perpétuelle évolution, si quelque chose me parle, j’ai envie de pouvoir le faire découvrir sans créer un étonnement général… J’ai envie de pouvoir naviguer entre un son afro, un autre reggaeton, de la dembo, de la baile, de la trap… Je veux qu’il puisse se dire « ok, elle sort un single, et on sait pas où elle va nous emmener. » Ça peut être problématique quand il faut me catégoriser ou me mettre dans une playlist. Est-ce qu’on la met dans le rap ? Dans le chant ? Dans le reggaeton ? C’est un peu chiant pour les labels, mais moi, ça me fait kiffer (rires).

Votre univers visuel et la direction artistique de votre personnage scénique, sont en revanche bien reconnaissables !
Bien sûr, ça n’empêche pas d’avoir une identité forte. J’adore la sape. On essaye de taffer la DA visuelle et les gens le ressentent, c’est agréable. Mon personnage, c’es une version poussée de moi. La Lazuli du futur, un peu mystique, qui aime quand même être à l’aise dans ses sapes ! J’ai beaucoup été aidée par Georgie Salama, ma styliste. C’est une créatrice qui fait toutes mes tenues de scène, de clip. On est vraiment complémentaires, on n'a pas peur d’oser. J’aimerais développer ça, peut être créer une marque, car c’est vraiment dans mon ADN.

Nuits sonores sera l’une des plus grosses scènes sur lesquelles vous allez jouer cette année. Le public pourra vous voir sur le Day 2, le même jour que King Doudou et Izen, vos acolytes. Que symbolise ce retour aux sources presque en famille ?
Avant, j’allais à Nuits sonores en consommatrice de musique. Maintenant j’y suis pour jouer mes sons, c’est un honneur de pouvoir performer là bas. Ça marque une étape, mais je crois que je ne réaliserai que quand j’y serai. Le line up me fait trop plaisir, on est tous humainement super connectés. Et puis Lyon, c’est quand même sentimental. Là, on va beaucoup défendre le projet Toketa, je vais essayer de transmettre tout ce que j’ai acquis depuis la dernière fois que les gens m’ont vue à Lyon. On va vous faire danser !

Lazuli
À Nuits sonores le jeudi 18 mai (La Sucrière, à 17h45) dans le cadre du festival Nuits sonores

* Topliner consiste à créer une mélodie chantée sur un beat, une prod', en faisant du yaourt. Ici, les paroles n'importent pas. L'étape de l'écriture intervient une fois la topline définie.

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