Iron Claw, du tact et de la pudeur sur les plaies d'une famille de catcheurs

Biopic / De cette histoire vraie d’une famille de catcheurs dans les années 80 persuadée d’être frappée par une malédiction, Sean Durkin tire une tragédie implacable reposant sur une véritable éthique de la mise en scène. Avec un Zac Efron transfiguré et méconnaissable. Au cinéma à Lyon le 24 janvier.

Pendant toute la première partie d’Iron Claw -qui pose les bases de la tragédie déchirante à laquelle nous allons assister- se dégage l’étrange sensation de rester à côté. L’exemple le plus frappant reste la manière dont Sean Durkin présente à l’écran les nombreux combats de catch du film : jamais la caméra ne pénètre sur le ring pour épouser le point de vue d’un catcheur ou d’un autre, y compris celui de Kevin, son protagoniste et un des quatre (ou plutôt cinq, même si le plus jeune n’est qu’un fantôme de l’histoire) frères Von Erich, programmés pour réussir le projet avorté de leur père : remporter une ceinture de champion du monde.

Toutes les stratégies visuelles sont bonnes pour ne pas entrer dans cette danse faite de simulacres et d’authentiques sacrifices physiques, pour que la mise en scène du film ne se confonde pas avec cette mise en scène d’un spectacle viril où tout est joué d’avance.

Cronos catcheur

D’où l’impression, d’abord déstabilisante, de voir un film cérébral sur un sujet et des personnages dont ce n’est pas le point fort — euphémisme. Comme la superbe partition musicale de Richard Reed Parry fait résonner sur les images des notes implacables, Durkin utilise l’élégance de ses cadres et l’apparent classicisme de son découpage pour grandir son matériau et lui donner une autre dimension : celle du mythe et de la fatalité.

Autre exemple : alors qu’il semble promis à un succès comme lanceur de disque aux Jeux Olympiques, Kerry (Jeremy Allen White) doit abandonner son rêve car Ronald Reagan oblige les athlètes américains à boycotter les Jeux de Moscou. Il doit donc se rabattre à son tour et sans réelle conviction sur le catch… Les années 80, jusqu’ici décorum folklorique du film (avec coupes de cheveux improbables et rock FM), deviennent discrètement un acteur du drame en cours. Le père (génial Holt McCallany, qu’on est heureux de revoir après Mindhunter) et son dogmatisme fait de réussite, de masculinité, de capitalisme, de famille et de foi chrétienne, est en soi un pur produit de l’époque.

Mais Durkin le peint en Cronos dévorant ses enfants les uns après les autres après leur avoir transmis sa couronne. Cette « serre de fer » (Iron Claw) avec laquelle ils terrassent leurs ennemis sur le ring tels des oiseaux de proie. La malédiction dont la famille croit être frappée prend là aussi des accents mythologiques : plus elle essaie de lui échapper, plus elle précipite son destin.

Éthique du biopic

Il faut souligner le tact et la pudeur avec lesquels Sean Durkin expose les plaies qui s’abattent sur les frères, par des ellipses ou du hors-champ. C’est encore une logique de l’à-côté : ce qui intéresse le cinéaste, ce n’est pas le drame et le malheur mais la manière dont ils affectent les vivants ; pas l’événement mais ses conséquences, comme une régulière redistribution des rôles. Ainsi, le héros désigné, Kevin, fils parfait et pourtant systématiquement laissé sur la touche, acquiert peu à peu le statut de témoin et, partant, rejoint le regard de Durkin et du spectateur. 

La prestation remarquable de Zac Efron n’y est pas pour rien : plus son personnage passe à côté de sa vie, plus il choisit d’en faire un observateur doux, résigné et perplexe face au désastre en cours, paquet de muscles testostéroné mais tout flasque à l’intérieur, submergé par un torrent existentiel qu’une carapace en acier retient comme une digue.

Toute la beauté et, osons-le mot, l’éthique de Iron Claw sont résumées ici : refuser les valeurs de la famille Von Erich et son imaginaire putride, mais aussi les écueils du biopic et du mélo pour aller vers l’émotion véritable de celui qui, in extremis, comprend le poison qu’on a fait couler dans ses veines et choisit, par un geste salvateur, de le noyer dans ses larmes.

Iron Claw
De Sean Durkin (EU, 2h12) avec Zac Efron, Harris Dickinson, Jeremy Allen White, Holt McCallany…
Sortie le 24 janvier

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