Marion Rampal : « Une chanson c'est trois minutes : c'est très court, mais il peut se passer tellement de choses »

Marion Rampal

Amphithéâtre de l'Opéra

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Jazz / Songwriter raffinée et magnétique, Marion Rampal a su bâtir une discographie passionnée autour du jazz, du blues et de la folk. Mardi 13 février à l’Opéra Underground, accompagnée par ses fidèles compagnons de route, Matthis Pascaud à la guitare, Raphaël Chassin à la batterie et Simon Tailleu à la contrebasse, elle présentera son dernier opus, Oizel. Entretien.

Depuis que l’Opéra Underground a choisi de mettre votre photo en couverture de leur programme, on voit votre visage partout dans Lyon !

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Je ne savais pas qu’ils avaient choisi cette photo ! Au moment où on a booké la date je n’avais pas encore la série de photos que j’ai utilisé pour Oizel. Je me suis donc servie d’une image qu’Alice Lemarin avait faite pour mon album précèdent, Tissé, et j’ai rajouté un merle sur intelligence artificielle, façon peinture Renaissance. Quand j’étais adolescente et j’avais mon groupe de rock, je créais mes propres affiches DIY. Je crois que cette photo s’inscrit dans la continuité de cette démarche !

Oizel, sorti le 2 février, est votre cinquième album. Pourquoi ce titre ?

Il devait s’appeler « Merle » parce que cette figure m’accompagne depuis très longtemps. Après avoir longtemps hésité, je me suis tournée vers des vieux mots, car j’aime travailler sur l’ancienneté du langage, que ce soit avec la syntaxe ou avec le vocabulaire. Et j’aime jouer avec les formes oubliées, étrangères, métissées. Un jour j’ai trouvé ce mot "oisel", un mot qui résonne aussi avec "demoiselle". Et j’ai voulu rajouter un z.

L’album s’ouvre sur une chanson énigmatique, Tangobor.

C’est un mot qui m'est venu d’un coup. Je voulais évoquer l’idée du bord, de la limite, de quelqu’un qui est à la marge, à côté de la société. Quelqu’un qu’on ne regarde pas.

Il y a une urgence dans toute la chanson. Comme dans les moments de guerre où l’on doit choisir un camp. Dans ce morceau je m’adresse à quelqu’un qui est très seul, très isolé. Dans ma vie, autour de moi, il y a des figures comme ça, à la marge, un peu borderline. Et j’ai une affection toute particulière pour ces personnes-là.

Deleuze et Guattari ont écrit que Kafka faisait vibrer en intensité la langue allemande. Je trouve que vous faites de même avec la langue française.

Je vais passer une après-midi en me disant que je suis un peu deleuzienne. C’est vraiment la classe ! (rires) Quand je chante et je joue, j’improvise des sons et des mots. Je pars de ces fragments puis je tisse la chanson autour et peu à peu je vois surgir des chants. Et il n’y a rien de plus beau que le chant d’un oiseau ! Chanter c’est s’approcher de cette beauté. Mais est-ce que nous, dans notre parole et dans notre langage, on arrive à quelque chose qui soit aussi beau et vivant ? Certainement pas, et on est donc contraints à réinventer la langue, à la faire devenir magique.

Dans l’album il y a un morceau que je n’hésiterais pas à définir comme un chef-d’œuvre discret : De beaux dimanches, première collaboration avec Bertrand Belin.

J’avais envie d’une voix masculine qui soit très profonde, très grave et on a assez vite pensé à Bertrand Belin. C’était une rencontre très belle : on a chanté face à face, dans le studio. Au début on pensait qu’on se donnerait le relais et que chacun chanterait une phrase. Mais ça ne marchait pas. Puis on s’est dit « non, on va chanter à l’unisson ! ». C’était beau cette idée de chanter ensemble, parce que c’est comme quand on danse et on avance bras dessus bras dessous. De beaux dimanches parle d’un amour raté : des losers qui tombent amoureux peut-être juste le temps d’un bal. Mais ça peut quand même être un moment sublime. Et puis une chanson c’est trois minutes, une danse aussi, c’est très court, mais il peut se passer tellement de choses.

Parmi les nombreuses collaborations, il y en a une particulièrement importante, celle avec le saxophoniste Archie Shepp.

Ça fait plus de dix ans qu’on travaille ensemble avec Archie. C’est quelqu’un qui m’est très proche. Ce qui est très beau dans le lien avec lui, c’est que j’ai l’impression qu’il m’a appris non seulement à avancer dans ma recherche sur le français de la Louisiane, mais aussi à devenir moi-même.

Est-ce que c’est vrai que vous vouliez devenir chanteur rock ?

C’était mon rêve ! Bien sûr, j’écoutais du jazz quand j’étais très jeune. Mais à la base, j’étais une grande fan de Velvet Underground, Neil Young, Jim Morrison. Il y avait une sorte d’électricité vocale masculine qui m’attirait beaucoup.

Oizel est traversé par la présence des femmes. Je pense à la « Femme des bois » décrite par Florence Aubenas et que l’on retrouve dans la Grande Ourse.

J’ai mis quatre ans à l’écrire ! Au début je voulais écrire une complainte un peu à l’ancienne avec cette figure d’une femme qui sort la nuit et qui fait peur aux gens. Un jour j’ai lu un article de Florence Aubenas dans Le Monde [qui retrace la présence d'une femme "sauvage" dans les Cévennes ndlr]. Ça a été un choc ! Cette femme dont j’ai rêvé, elle existait vraiment, dans les bois des Cévennes, et les gendarmes n’arrivent pas à l’attraper.

Il y a aussi les grand-mères, Madeleine en particulier.

C’est elle qui m’a appris à peindre. Et à coudre. J’ai passé beaucoup de temps chez elle quand j’étais petite avec son grand jardin, sa maison me paraissait un monde merveilleux. Mes deux grands-mères sont décédées juste avant que je sorte Tissé et depuis je sens qu’elles sont très présentes dans mon écriture.

Trois mots pour décrire la soirée du mardi 13 février ?

Emouvante, étonnante et joyeuse.

Marion Rampal
À l'Opéra Underground le mardi 13 février

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