Entretien / Dans Terres promises, Bénédicte Dupré La Tour explore le western pour mieux lui tordre les boyaux. Avec une écriture sensible, elle joue avec les symboles et questionne nos imaginaires. Rencontre.
C'est votre premier roman, comment est né ce texte ?
Ce n'est pas moi qui ai écrit ce livre. Je m'explique : j'écrivais un début de roman, dans lequel une femme écrit un western. Donc dans ce roman j'ai écrit les premières pages d'un western. Puis j'ai laissé tomber l'histoire initiale car j'ai été beaucoup plus passionnée par le fait d'écrire ce qui était, au début, un western.
Pourquoi “au début” ? Ce n'est plus un western ?
J'ai commencé et je me suis dit, c'est pas possible, tu écris un énième western ? Tout a été dit, le genre est éculé. Et puis je vis en France, ce n'est pas mon histoire. Quelle est ma légitimité ? Et puis, pourquoi avoir spontanément choisi ce sujet ? J'ai réalisé que j'avais été baignée dans mon enfance d'énormément de récits de western : je n'ai jamais joué à Vercingétorix ou à Jules César, j'ai joué aux cow-boys et aux indiens. Et j'ai pensé que la colonisation la plus réussie, c'est celle de l'imaginaire. Les Américains ont réussi à me faire jouer à un jeu terrible, celui de l'invasion. Jamais je ne jouerais aux Hutus et aux Tutsis. Le tour de force est d'avoir rendu cette invasion séduisante et désirable, puisqu'on en a fait un jeu, mais aussi toute une filmographie, une littérature... Cela dit quand je jouais j'étais toujours du côté des indiens, du côté des perdants, peut-être parce que je suis une femme (rires).
Donc j'ai tout fait pour que ce ne soit pas un western. J'ai travaillé sur le langage, alors c'est subtil, parce qu'effectivement on trouve dans Terres promises quelqu'un qui cherche de l'or. Mais de l'or, il y en a sur tous les continents, en France il y a aujourd'hui encore des gens qui cherchent de l'or. J'ai pris le motif de la prostituée : il y en a malheureusement dans tous les pays, c'est universel. Des gens qui se dépaysent, qui s'exilent, ou des gens qui envahissent, malheureusement encore aujourd'hui on en voit partout. Je ne voulais pas m'enfermer dans un cadre historique mais plutôt tirer vers le mythe. J'ai gommé les termes qui font référence au western. Et je défie quiconque de me prouver qu'on est au Far West et dans la conquête de l'ouest. Le projet est d'essayer de montrer au lecteur que lui aussi s'est fait coloniser, car il y croit dur comme fer. J'ai jeté quelques éléments, comme une poignée de graviers dans les rouages du genre, qui nous font dire que définitivement, on n'y est pas. Le lecteur attentif le verra.
On suit sept personnages sur sept chapitres, qu'on peut considérer comme des nouvelles, mais qui sont reliés entre eux. Les lettres d'un huitième personnage entrecoupent chaque histoire. Comment avez-vous construit le texte ?
Mon objectif était de faire polyphonie, en partant des archétypes du western. Chaque portrait commence par une scène initiale, souvent étrange, dont on retrouve le dénouement à la fin. Entre les deux, on descend un escalier temporel dans l'histoire du personnage, qui nous permet de le comprendre. Je me suis donné plusieurs contraintes formelles. La première était de ne pas ouvrir un livre d'histoire. Je me sers de la mémoire collective. Pour les personnages, j'ai pris un jeu de tarot de Marseille et j'ai tiré des cartes. Les symboles, c'est un de mes langages. Ma langue paternelle c'est le non-dit, donc c'est compliqué pour moi de parler, je trouve des substituts. Si j'ai choisi d'écrire, c'est que j'ai choisi de ne pas parler (rires). Le jeu m'inspire aussi. Je le retrouve dans l'écriture, car c'est le lieu de tous les possibles. Je crois que j'ai trouvé ma terre promise.
Terres promises de Bénédicte Dupré La Tour, aux éditions du Panseur
Rencontre à la librairie du Tramway le 20 septembre