Roman-ressac / Nommé pour le prix Goncourt, Jour de ressac est le roman le plus personnel de Maylis de Kerangal, qui nous emmène dans la ville du Havre sur fond de roman noir.
Ressac, "nom masculin : Agitation de la surface marine, résultant de l'interférence de la houle et de sa réflexion contre une côte ou contre les obstacles qu'elle rencontre" dit le Larousse.
Un coup de fil cueille la narratrice et conduit ses pas au Havre, lieu de son enfance. Au téléphone, l'officier de police judiciaire évoque “le corps d'un homme, sur la voie publique. Une affaire vous concernant.” Un cadavre a été retrouvé sur la plage de galets, inidentifiable, aucun papier, si ce n'est ce ticket de cinéma où est griffonné son numéro de téléphone. Comme pour intégrer l'information, la narratrice se répète la phrase de l'officier, ces mots “une affaire vous concernant” telles une vague, une marée. Un roman noir donc. Mais l'enquête, si elle est le fil rouge du roman, n'en est pas la substance. Elle est un prétexte. Ce qui texture l'histoire, ce sont les souvenirs qui reviennent à elle, tel le ressac, telle la violente vague qui s'abat sur la digue nord lorsqu'elle va marcher pour réfléchir.
Jour de ressac est une journée de flashbacks, qui dessinent en creux le portrait d'une femme, qui croit reconnaitre un amour d'adolescence, et puis aussi le portrait d'une ville, Le Havre. Rasée à la fin de la guerre (des chapitres en font le récit saisissant), aujourd'hui l'un des plus grands ports d'Europe, et comme tous les grands ports, plaque tournante du narcotrafic. On n'avait pas forcément mis Le Havre en haut de notre liste de lieux à visiter, c'était sans compter l'écriture impressionniste de Maylis de Kerangal, qui sied à merveille à la Normandie (terre de prédilection des peintres, Claude Monet en tête), où les variations de lumières et les nuances de l'eau convoquent des milliers de mots et de tableaux.
Une journée de flashbacks
C'est l'un des talents de Maylis de Kerangal, auquel on n'est pas étranger - c'est même pour ça qu'on l'admire - si on l'a déjà lue. Sa capacité à se plonger, et nous avec, dans un univers complètement nouveau à chaque roman (les grands travaux avec Naissance d'un pont, la chirurgie cardiaque avec Réparer les vivants, la peinture de décor avec Un monde à portée de main...) sur le fond, mais aussi sur la forme, à travers un champ lexical chaque fois renouvelé, précis, circonstancié, qui se déploie avec musicalité.
« La cinégénie prodigieuse du Havre, la mise en scène du regard à l'échelle d'une ville entière associée à l'esthétique particulière d'un port industriel, cette énergie graphique, tout cela jouait à plein, dopait les imaginaires », écrit l'autrice.
Dans Jour de ressac, on est enveloppé par un vocabulaire-univers nautique, architectural, industriel, emprunté à la guerre, au polar, un champ lexical dur, métallique, contrasté (car tout est affaire de contraste) par la poésie du paysage (à l'horizon, la mer) et l'humanité des personnages. C'est l'un des romans les plus personnels de Maylis de Kerangal, elle-même originaire du Havre. Un roman-ressac dans tous les sens du terme, dans la structure même du texte, où l'on revient à chaque souvenir plusieurs fois, par vagues, parfois douces, parfois violentes. Avec un plaisir sans cesse renouvelé.
Jour de ressac de Maylis de Kerangal (éditions Verticales)
Rencontre le 10 octobre au Collège supérieur, 17 rue Mazagran (Lyon 7ᵉ)