Cachets artistiques : comment ça marche ?

Dossier / Des montants dont on se dit bien souvent qu’ils sont exorbitants, d’autant qu’ils sont en constante augmentation et qu’ils fragilisent aujourd’hui l’écosystème des festivals : pour tenter de comprendre ce qui pose problème dans les exigences des productions en matière de cachets artistiques, nous avons demandé à des bookeurs et artistes indépendants de nous apporter quelques lumières.

15 000 euros, 10 personnes sur scène d’un côté. 150 000 euros, 1 personne sur scène de l’autre. Des écarts tels qu’il est aujourd’hui devenu difficile de comprendre la logique qui s’applique aux cachets demandés par les artistes et/ou leurs bookeurs pour se produire sur scène. Malgré cette dérégulation apparente, certaines réalités méritent cependant d’être rappelées en préambule, afin d’évacuer toute possible confusion. À ces fins, Mike, fondateur et leader du groupe indépendant Sinsémilia, n’hésite pas à se montrer assez transparent : « L’intégralité du cachet ne va pas dans la poche des artistes, il finance un écosystème. À titre d’exemple, un cachet perçu par Sinsémilia sert pour moitié à payer les salaires, non seulement des artistes, mais également du reste de l’équipe, et pour moitié à payer les frais de fonctionnement et les transports. Cette logique-là s’applique à tous. Plus l’écosystème est conséquent, plus le cachet est haut. »

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Mais, si en effet cette donnée incompressible concerne tous les artistes et structures de production, tous, n’envisagent pas d’en tirer les mêmes profits : quand Mike confie se rémunérer 200€ par concert, non guidé par l’appât du gain, et après avoir fait le choix il y a longtemps de faire travailler une grosse équipe pour des salaires plutôt modestes, d’autres, voient indéniablement dans le marché du live l’occasion de s’enrichir.

Effet d'aubaine

La preuve avec les explications apportées par certains producteurs à des programmateurs de festivals, pour justifier l’augmentation parfois obèse des montants des cachets… qui ne résistent pas longtemps à l’épreuve de la comparaison. Mathieu Dassieu, saxophoniste du groupe Danakil et gérant de la structure Baco Records fondée il y a 12 ans comme un modèle à 360° pour accompagner le groupe et produire d’autres artistes, évoque quant à lui un rapport de force : « Actuellement, des producteurs invoquent l’excuse de l’inflation. Nous qui sommes sur les routes, et qui faisons tourner d’autres groupes, savons qu’elle n’impacte qu’à la marge l’économie du live pour les artistes et leurs productions. Je pense plutôt qu’il faut voir dans cette hausse des tarifs un effet d’aubaine dont se saisissent certains, en rupture totale avec la réalité des choses ».

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Car, là où une production alignait les montants des cachets sur la rentabilité des artistes produits il y a de cela 15 ans, elle peut actuellement demander trois ou quatre fois plus en vertu de la notoriété de ces derniers, sans que le programmateur ne puisse avoir la certitude qu’il déplacera les foules. Là-dessus, toutes les personnes que nous avons interrogées sont formelles : impossible de savoir en amont si des millions de streams, des passages radio ou télé, des Victoires de la Musique peuvent être convertis en milliers de personnes qui viennent assister à un live de celui ou celle qu’ils aiment écouter dans leur casque. Si l’on ajoute à cela la transformation de certains concerts en véritables shows à l’américaine intégrant des technologies coûteuses, on obtient une logique de l’offre et de la demande totalement biaisée, que les programmateurs n’ont plus qu’à subir.

Diversité en danger

Et, s’il est tentant d’objecter que les programmateurs d’événements musicaux n’ont qu’à faire le choix de groupes « peu chers », force est de constater que l’équation n’est pas si simple à résoudre. L’an dernier, Musilac, qui justement avait fait le pari de noms moins « clinquants », est sorti de sa 20e édition en accusant un déficit d’un million d’euros. Un exemple parmi d’autres, que les résultats d’une récente étude menée par France Festivals*, expliquent en partie : 16% des spectateurs enquêtés lors de cette étude expliquaient en effet fréquenter un festival de musiques actuelles pour sa programmation, et 75% des festivaliers interrogés admettaient bien connaitre les artistes programmés sur l’événement où ils s’étaient rendus. Dans cette logique, apparait alors du même coup un deuxième risque, plus grave encore : celui de voir un jour la diversité musicale, et avec elle l’exception culturelle française disparaitre.

« Nous, nous avons fait le choix de l’indépendance pour pouvoir décider de notre sort indépendamment de toute structure, mais aussi pour défendre certaines valeurs, dont l’accessibilité à notre musique, détaille Pépé, saxophoniste du groupe Deluxe. On va grossir, on va augmenter nos tarifs de façon à pouvoir faire vivre davantage de personnes, mais on fera tout pour rester raisonnables. Je pense que les artistes devraient s’engager fortement pour cela. Cela étant, à mon niveau… Je n’ai pas vraiment de moyens d’action ».

*SoFest ! sociologie, fréquentation, motivations

*À noter que nos demandes d’entretien au sujet du fonctionnement des cachets des artistes adressés à plusieurs productions sont restées lettre morte.

Pour lire le dossier complet, voir  Festivals indépendants : une boucle compliquée à boucler et  Un public averti en vaut deux

 

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