L'extension du domaine de l'accident de service dans la fonction publique
Toute extension ou restriction de la notion d'accident de service emporte des incidences sur le niveau de garantie statutaire bénéficiant aux agents publics et sur son coût pour les administrations qui les emploient. Point sur une notion aussi décisive qu'évolutive.
Les notions d'accident de service et son extension, l'accident de trajet, sont respectivement définies aux articles L. 822-18 et L. 822-19 du Code général de la fonction publique. En l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l'accident du service, « est présumé imputable au service tout accident survenu à un fonctionnaire, quelle qu'en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal ».
Est également reconnu imputable au service, « l'accident de trajet dont est victime le fonctionnaire qui se produit sur le parcours habituel entre le lieu où s'accomplit son service, et sa résidence ou son lieu de restauration, et pendant la durée normale pour l'effectuer ».
Ainsi, pour l'octroi d'un congé pour invalidité temporaire au service, si un accident de service est présumé imputable, dès lors que les conditions de temps et de lieu sont réunies, il appartient à l'agent de démontrer avoir été victime d'un accident de trajet. Au-delà, en dépit d'une apparente simplicité de leurs éléments de définition, ces notions recouvrent des réalités diverses et fluctuantes au gré des tendances jurisprudentielles et sociétales.
L'accident de trajet, un itinéraire maîtrisé
S'il est constant que le trajet le plus direct et le plus rapide, à défaut d'être le plus court, entre la résidence de l'agent et le lieu de son service constitue un itinéraire protégé, les points de départ et d'arrivée comme l'itinéraire du trajet font l'objet de décisions de jurisprudence témoignant d'une extension maîtrisée de son champ d'application.
Tout d'abord, la notion de résidence de l'agent a été précisée en prenant pour critère celui du seuil de propriété. Un accident de trajet ne peut ainsi être caractérisé « lorsque [l'agent] se trouve encore, lors de l'accident, à l'intérieur de son domicile ou de sa propriété », ce, quand bien même « l'intéressé avait sorti son véhicule sur la voie publique en vue de son départ et ne se trouvait à nouveau dans sa propriété que pour fermer la porte de son garage » 1. Le critère de seuil de propriété a, par ailleurs, été décliné dans l'hypothèse d'une chute survenue dans les parties communes d'un immeuble pour considérer que le trajet débutait dès le passage du seuil de l'appartement 2.
L'itinéraire du trajet fait également l'objet de décisions témoignant du pragmatisme du juge administratif. Il y reconnaît ainsi la possibilité de détours ou d'écarts pour autant que les détours soient liés aux nécessités de la vie courante ou en relation avec l'exercice par l'agent de ses fonctions et que les écarts aient un caractère strictement involontaire 3.
Enfin, s'agissant du trajet vers le lieu de restauration, sont exclus les accidents survenus à l'occasion de trajets de confort « étrangers aux nécessités de la vie courante ». Il en a été jugé ainsi d'un accident survenu alors que l'agent regagnait son lieu de travail après avoir consommé un café dans un bar de centre-ville, son repas ayant été pris précédemment au sein du restaurant administratif situé dans ses locaux professionnels 4.
L'accident en télétravail, une externalisation à domestiquer
L'accident de service tend à se redéfinir au gré des évolutions sociétales et, notamment, du fait du développement du télétravail qui externalise le lieu du service au domicile personnel de l'agent.
S'il n'est, pour l'heure, pas identifié de décision de principe, les juridictions du fond ont eu à connaître de litiges questionnant la qualification d'accident de service pour des événements survenus pendant l'exercice de missions en télétravail. Ainsi, dans un jugement du 12 mai 2023, le tribunal administratif de Paris a eu à statuer sur l'accident d'une fonctionnaire en télétravail ayant reçu sa planche à repasser sur un pied en ouvrant son placard pour se chausser. Alors que l'accident intervient bien sur le lieu de travail et pendant les horaires de travail, il n'a toutefois pas été reconnu imputable au service au motif que « les circonstances de cet accident ne peuvent être regardées comme constituant le prolongement normal ou relevant de l'exercice de ses fonctions » 5.
De même, a été déniée la qualification d'accident de service à l'accident « survenu, alors que la requérante manipulait un couteau à pain avec lequel elle s'est coupé un doigt lors de sa pause déjeuner à 12 h 05 dans sa cuisine », ce, dès lors que « l'intéressée a déclaré à l'administration une plage de travail de 7 h 45 à 11 h 55 le jour de l'accident et qu'elle n'allègue pas avoir exercé des fonctions spécifiques nécessitant qu'elle puisse être jointe à tout moment afin d'intervenir immédiatement pour assurer son service » 6.
En revanche, le prolongement normal avec le service a été admis d'un incendie survenu au domicile d'un agent en télétravail en fin d'après-midi, ayant entraîné son décès, l'incendie ayant été consécutif à l'oubli de la mise hors tension d'une plaque vitrocéramique durant la pause méridienne de 45 minutes, dont disposait l'agent pour déjeuner 7.
Soudaineté et violence de l'accident de service, des notions réaffirmées
Dans le sillage de la décision du Conseil d'État du 23 septembre 2013, Mme F., qui estimait imputable au service les séquelles d'un accident en lien direct, mais non nécessairement exclusif, avec l'exercice par l'agent de ses fonctions, il avait pu être admis qu'un entretien hiérarchique, donnant lieu, dès sa sortie, à un arrêt de travail, puisse être regardé comme un accident de service.
Toutefois, depuis la décision du Conseil d'État, ministre des Armées c/ Mme N., du 27 septembre 2021, les notions de soudaineté et de violence de l'accident semblent avoir été réaffirmées. Dorénavant, si un entretien avec la hiérarchie, tel qu'un entretien d'évaluation, peut être à l'origine d'un accident de service, cela nécessite tout de même d'établir que le comportement ou les propos du responsable hiérarchique ont excédé l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.
En effet, après avoir rappelé que « constitue un accident de service [...] un événement survenu à une date certaine, par le fait ou à l'occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci », le Conseil d'État a estimé que « sauf à ce qu'il soit établi qu'il aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, lequel peut conduire le supérieur hiérarchique à adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires, un entretien [...] entre un agent et son supérieur hiérarchique, ne saurait être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d'être qualifié d'accident de service, quels que soient les effets qu'il a pu produire sur l'agent ».
En définitive, par une appréciation rigoureuse des notions d'accident de service et de trajet, les juridictions administratives semblent parvenir, au gré des évolutions sociétales, à parer à une extension inconsidérée de leur applicabilité tout en adaptant leurs garanties aux transformations de la fonction publique.
1 CE, 12 février 2021, n° 430112.
2 CAA de Marseille, 6e chambre, 4 juillet 2022, 21MA02328.
3 Conseil d'État, 7e - 2e chambres réunies, 30 novembre 2018, 416753.
4 Cour administrative d'appel de Paris, 4e chambre - formation B,
du 7 juillet 2005, 01PA03508.
5 TA Paris, 9 novembre 2023, n° 2124405.
6 Tribunal administratif de Rennes, 6e chambre, 21 novembre 2023, n° 2200546.
7 Tribunal administratif de Paris, 5e section - 1re chambre, 12 mai 2023, n° 2127166.